Robin Hood statue - 2014, forêt de Sherwood, Angleterre.
Robin Hood - Ivanhoe et l'arc de Robin
Avant de faire un petit aparté sur les bases historiques de l'histoire de Robin, on a pu voir que sa popularité était en déclin depuis le XVIème siècle, notre héros se cantonnant à des petits récits pour enfants sans grande envergure et rapidement oubliés dès l'adolescence.
En 1795, Joseph Ritson publiait donc une anthologie des ballades d'origine de la légende de Robin dans l'espoir de l'utiliser pour illustrer son idéologie révolutionnaire.
À l'aube du XIXème siècle, ces écrits préparent Robin à faire son grand retour dans la culture populaire sous la plume de deux écrivains bien connus.
En 1819, quelques années après cette réédition et les notes l'accompagnant, un ami de Ritson, Sir Walter Scott, s'appuiera sur ces travaux pour l'écriture du personnage de Robin apparaissant dans son œuvre phare : Ivanhoe.
Nous reparlerons de cette œuvre plus en détail car il s'agit de l'une des plus importantes contributions à la popularisation des récits médiévaux dans la culture anglo-saxonne en pleine période d'industrialisation.
Pour aujourd'hui, concentrons-nous sur le personnage de Robin tel qu'il apparaît dans ce récit et qui marquera durablement l'imaginaire collectif.
Robin, ici appelé plus régulièrement Locksley, est un personnage à l'importance capitale. Enjoué, amical envers le héros et hautement patriotique malgré son statut de hors-la-loi, il sauvera plus d'une fois la situation grâce à sa ruse et à ses compagnons fidèles.
Son fameux exploit de réussir à fendre en deux une flèche avec une seconde apparaît pour la première fois dans ce récit ainsi que sa devise de voler aux riches pour donner aux pauvres.
Le nom de "Robin of Locksley" deviendra quasi permanent ainsi que sa fidélité sans faille au roi Richard. Cette fidélité découle d'ailleurs d'un autre fait nouveau dans ce récit : tout comme Ivanhoe, Robin revient de la troisième croisade après y avoir combattu aux côtés de son roi.
Il devient hors-la-loi volontairement, par rejet du roi Jean qu'il considère comme un usurpateur.
De manière générale, même s'il n'est pas le héros, c'est cette histoire de Robin qui sera la plus reprise dans les adaptations futures.
Walter Scott a en effet réussi le tour de force de rester très fidèle aux récits d'origine tout en réinterprétant le personnage à sa façon dans son caractère et en lui donnant une bien plus grande consistance.
Au final on comprend bien mieux les motivations de cet ancien combattant brouillé avec sa famille et possédant un sens aigu de la justice que celles d'un simple bandit de grand chemin sympathique mais juste épris de liberté.
- Ce passé lui donne surtout une dimension bien plus épique, romantique et lui confère avant tout un but à atteindre. Cette finalité d'aider à la libération de son pays (en plus de sauver ses amis et son amour) implique bien plus le lecteur sur du long terme qu'une succession d'histoires courtes dont les enjeux varient chaque jour.
Un ajout qui retombera, lui, vite dans l'oubli, est lié au but d'Ivanhoe. En effet, en tant que patriote, à son retour de croisade, il se désole de voir la nouvelle ampleur de l'influence de la noblesse normande par rapport aux saxons qui dirigeaient le pays jusqu'ici.
Nous reviendrons sur les subtilités de cette position politique quand nous parlerons de l'œuvre en général mais, si Robin partage cette vision de son pays dans cette histoire, cet axe politique sera par la suite rapidement écartée du personnage car moins adaptée à un récit axé sur la liberté et à des valeurs plus générales.
Savoir que le prince Jean a usurpé le trône et abuse de son pouvoir suffit au spectateur sans avoir à entrer dans les complexes méandres politiques d'une période troublée entre noblesses anglaise, française et normande.
Quoi qu'il en soit, tout en réinventant le personnage de Robin, Sir Walter Scott ramènera le romantisme et le Moyen-Âge sur le devant de la scène littéraire grâce à son chef-d'œuvre et son récit fera de cette histoire de Robin la base de toutes les adaptations qui lui succéderont.
Comme l'a dit le professeur Henri Suhamy, si les romans de Scott précédant 1819 (historiquement pointus sur l'histoire des écossais) ont inspiré les grands romanciers du XIXème siècle, Ivanhoe inspirera, lui, la littérature populaire.
Par la suite, l'équivalent outre-Manche de Sir Walter Scott, Alexandre Dumas, adoptera la même démarche : reprendre un contexte historique travaillé (sans être à cent pour cent authentique) pour en faire un cadre propice à de grandes aventures stimulant à la fois la soif d'aventure exotique, mais également la curiosité historique.
Publiés respectivement en 1872 et 1873, Le Prince des Voleurs et Robin Hood le Proscrit seront un condensé des différents récits sur Robin en axant le tout sur la vision de Walter Scott. Alexandre Dumas avait d'ailleurs signé la traduction française d'Ivanhoe.
-La vraie traductrice étant en réalité Marie de Fernand, maîtresse et collaboratrice de Dumas restée dans son ombre.
Il n'y a cependant pas grand-chose à dire sur cette œuvre si ce n'est qu'elle aidera à populariser le personnage de Robin en France.
Pourtant, le succès encore plus important d'Ivanhoe fera tomber ces œuvres de Dumas dans un rapide (et relatif) anonymat malgré un style narratif impeccable et une vision plus détaillée de la vie de Robin.
Le ton général étant tout de même plus sombre et cynique (à l'instar du Comte de Monte-Cristo), on y revient moins facilement qu'un récit plus divertissant et à la fin joyeuse comme Ivanhoe.
Un dernier revirement le rapprochant à nouveau d'un public jeune intervint à la fin du XIXème lorsqu'une série de livres spécifiquement destinés aux enfants fera son apparition. La plus célèbre étant celle de 1883, écrite et illustrée par Howard Pyle, nommée The Merry Adventures of Robin Hood of Great Renown in Nottinghamshire.
Faisant fi des différentes dimensions politiques, Robin retournera à l'ambiance des ballades d'origine en insistant sur les valeurs morales d'un simple brigand qui vole aux riches pour donner aux pauvres à travers des histoires courtes.
Le succès immédiat de l'œuvre installera définitivement l'idée populaire que Robin est un héros du petit peuple et aidera toute une génération d'enfants à découvrir le personnage à travers des histoires qui leur sont destinées.
C'est sous cette version que Robin connaîtra son premier succès populaire aux Etats-Unis puisqu'il fera partie des premiers livres pour enfants respectés par la critique.
Avant d'attaquer le XXème siècle et le cinéma qui sera le nouveau principal vecteur des aventures de Robin, revenons sur un petit point qui a son importance.
Robin est un héros universel depuis des siècles car il peut représenter un nombre incroyable de valeurs différentes selon la vision de celui qui l'utilise. Pourtant, un trait commun dont nous n'avons pas encore parlé est toujours présent depuis très longtemps même s'il n'était pas si important à l'origine.
Car si l'on évoque Robin Hood, l'image du héros est indissociable de son fidèle arc.
Comme dit précédemment, à l'origine, la particularité de Robin est d'être un roublard, pas un archer. Petit Jean le bat plusieurs fois à l'arc dans les premières ballades et lorsqu'il se bat, il privilégie l'épée pour montrer sa dextérité. Pourtant, si l'image des rôdeurs et autres hommes des bois de la fantasy est autant associée aux archers, il en est la principale raison.
Pourquoi ?
Il faut savoir que l'arc a toujours eu une grande importance en Angleterre.
Il est particulièrement ancien et présent dans toutes les cultures du Monde (le plus vieil arc retrouvé à l'heure actuelle est composé des fragments d'un arc pour enfant vieux de 17 500 à 18 000 ans trouvé à Mannheim en Allemagne) car il fait partie des armes les plus facilement accessibles. C'est d'ailleurs pour cette raison que les compétitions de tir à l'arc étaient pratiquement toujours présentes lors des fêtes de villages, quel que soit le pays.
Contenant peu ou pas de métal, un arc basique est relativement facile à fabriquer même sans expérience à un coût minime, surtout dans des pays particulièrement boisés comme l'Angleterre, autrefois couverte de forêts gigantesques.
De fait, ce pays a une très ancienne tradition de chasse à l'arc qui se révélait particulièrement efficace sur le terrain et la faune locale. Avant même l’apparition du longbow anglais (arc long), la Grande-Bretagne abritait déjà une grande concentration d'archers particulièrement doués dans toutes les strates sociales.
En Angleterre, le longbow va pourtant obtenir une importance historique et culturelle particulière à travers son incorporation dans l'armée dès la fin du XIIIème siècle, lors des guerres de conquête du Pays de Galle et de l'Écosse.
À cette époque, l'Angleterre utilisait surtout les charges de cavalerie lourde et l'arc long était l'arme fétiche des gallois qui utilisaient intelligemment leur terrain accidenté et leurs piquiers (fantassins armés de piques de plusieurs mètres) pour harceler en escarmouches l'armée anglaise qui réalise trop tard que cette arme peut percer leurs armures.
En 1227, en employant des archers gallois rivaux, Edward Ier défait finalement les piquiers adverses. Il instaure alors un entraînement spécialisé pour archers le dimanche en bannissant par un édit les autres sports.
Il importe également du bois d'if d'Italie et des Pyrénées (l'if étant toxique, il était arraché par les éleveurs anglais) pour remplacer le bois d'orme blanc des gallois. Fait assez rare, les archers disposaient alors d'un équipement standard qui leur était fourni par l'armée.
Pendant les guerres d'indépendance d'Écosse sous son règne et celui d'Edward III, ces archers spécialisés, mobiles et se disposant en formations variées (pour que les flèches n'arrivent pas que de face, mais également sur les flancs) aideront à remporter de nombreuses victoires face aux écossais.
L'âge d'or de l'archerie anglaise sera pendant la première partie de la guerre de Cent Ans où les arbalétriers génois sont complètement surclassés pendant que les chevaux et chevaliers (portant majoritairement des cottes de mailles) seront décimés.
Chaque bataille rangée se solde par une victoire anglaise, tant et si bien que Charles V décide de ne plus les combattre directement, ordonnant à son peuple de fuir avec les provisions avant l'armée ennemie pour qu'il puisse les attaquer en escarmouches pendant que les anglais manquent de ravitaillement, isolés au milieu des terres.
L'une des dernières grandes victoires de l'archerie anglaise sera lors de la bataille d'Azaincourt en 1415 lorsqu'elle anéantit la cavalerie lourde française.
Les facteurs de la défaite sont multiples, notamment des mentalités et styles de combat opposés, mais un facteur était la récente dissolution des francs-archers demandée par la noblesse à la suite de révoltes paysannes (Jacqueries) où les paysans s'étaient armés d'arcs.
L'adaptation des stratégies françaises et, surtout, l'avènement de l'artillerie et des arquebuses auront raison de l'âge d'or des archers vers la fin du XVème siècle.
- Mais il faut rapidement parler du dernier cas connu d'utilisation d'un arc en combat de l'Histoire.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le lieutenant-colonel John Malcolm Thorpe Fleming Churchill (dit Jack Churchill ou Mad Jack) était un excentrique officier britannique se battant à l'épée et à l'arc.
Il donna le signal d'une attaque en abattant un gradé allemand d'une flèche, faisant ainsi le seul mort connu du conflit abattu de cette façon.
Plus tard il libérera une ville près de Salerne avec seulement deux commandos puis il sera le seul survivant de son commando touché par un obus pendant qu'il continuait à jouer Will Ye No Come Back Again ? à la cornemuse avant d'être capturé.
Après avoir tenté une première évasion, il réussit sa seconde tentative et marcha 150 kilomètres pour rejoindre l'armée américaine.
Sa devise était "un officier qui part au combat sans son épée n'est pas dans une tenue correcte" et en 1946, il fut engagé en tant qu'archer pour apparaître dans un film aux côtés de Robert Tylor, son ancien compagnon d'aviron : Ivanhoe (il avait déjà joué dans Le Voleur de Bagdad en 1940 et participé au championnat du Monde d'archerie l'année précédente).
Pour donner une idée de son caractère, il se fit remarquer lors d'un voyage de train où il jeta ses affaires par la fenêtre, expliquant plus tard qu'ils passaient devant son jardin et qu'il ne voulait pas tout transporter à pied depuis la gare.
Il faudrait consacrer un article entier au longbow anglais, considéré comme l'un des meilleurs arcs au monde.
Disons simplement que les deux parties du bois d'if utilisées sont merveilleusement complémentaires pour donner une force de projection phénoménale qui équivaut à la puissance d'un arc composite sur un autre bois (arcs bien plus rigides et durs à bander, mais dont la force de projection se voit multipliée si son porteur est assez fort pour tendre la corde).
Comme son nom l'indique, le longbow a la particularité d'être particulièrement haut (2m) pour augmenter à la fois sa portée et sa capacité à se plier sans risquer la casse, même s'il faut décocher la flèche immédiatement pour limiter ce risque.
Il fallait tout de même une certaine force pour les utiliser, les arcs de la guerre de Cent Ans nécessitaient une force de 120 à 130 livres (530 à 580 newtons) contre 40 à 80 livres aujourd'hui (177 à 355 newtons).
Avec cet arc supérieur fabriqué en une journée, on utilisait des flèches particulièrement lourdes (entre 60 et 80g contre 20g sur une flèche moderne) possédant différentes têtes adaptées au type d'armure adverse.
Dans les faits, un archer entraîné devait tirer en moyenne dix flèches à la minute (seize pour un spécialiste, le tout devant toucher sa cible, évidemment). Mais sa cadence pouvait être accélérée en plantant ses flèches en terre devant lui, ce qui permettait en plus d'augmenter les risques d'infections sur une blessure contaminée par la terre.
Avec une portée allant de 165 à 228 mètres en moyenne (un tir allant jusqu'à 328 mètres a été récemment effectué avec un arc de 1545), les cottes de mailles étaient percées sans effort mais une lourde armure de plates devait se situer à moins de 100 mètres pour ne plus offrir de protection face à ces flèches.
Cependant, le plus gros point fort de l'arme reste sa rapidité à tirer, permettant une vitesse bien supérieure à une arbalète de la même période. L'idée n'est pas de faire le tir le plus précis possible mais bien de déclencher une pluie incessante de flèches sur l'ennemi, essentiellement pour le blesser, l'handicaper et le ralentir.
Dans un combat rangé, au-delà des dégâts normaux, l'utilisation des archers est particulièrement efficace pour faire paniquer les chevaux, même sur une blessure légère. De plus, le nombre de flèches plantées dans le sol entrave rapidement la progression de l'armée.
Pour donner une idée de la densité que cela pouvait représenter, lors de la bataille d'Azincourt, les 7000 archers de l'armée anglaise tiraient 72 flèches à la minute par mètre carré.
Tout comme l'utilisation du roi Richard à la place d'Edward III, on comprend donc que l'importance que prend l'arc de Robin avec le temps est surtout liée à la fierté et à l'écriture du roman national.
Faire de Robin le meilleur archer, c'est faire de lui le meilleur anglais. Et par son biais, la légende et la crainte de l'efficacité des archers britanniques résonne dans toute l'Europe, appuyée par ses victoires militaires bien réelles contre la France et l'Espagne.
Parallèlement à cette image, l'arc est avant tout une arme du peuple. C'est une arme ignoble (étymologiquement : de basse naissance) qui a même été interdite aux côtés de l'arbalète par l'Église catholique en 1139 au deuxième concile du Latran qui les jugeait diaboliques. En effet, le combat à distance s'opposait au combat à l'épée de la noblesse qui avait le net avantage de pouvoir épargner son adversaire contre rançon.
Mais l'archerie est également l'un des seuls corps de l'armée anglaise où toutes les classes sociales peuvent cohabiter (bien qu'à des grades différents, évidemment). À l'image de Robin, l'arc se trouve donc situé entre le peuple et la noblesse, à la fois pour servir de séparation symbolique nette, mais également en tant que passerelle entre les classes.
Noble devenu hors-la-loi avec une arme du peuple, paysan anobli grâce à sa maîtrise d'une arme égalitaire... Encore une fois, l'image de Robin pourra facilement s'adapter aux idées que veulent transmettre ses différents narrateurs.
Pour finir sur ses accessoires, ce que l'on appelle aujourd'hui un "chapeau de Robin des Bois" s'appelait en fait un bycocket ou un chapel à bec en France.
Entre le début du XIVème et le milieu du XVème siècle, décoré ou non de plumes ou de bijoux, il était porté par hommes et femmes de la royauté et de la noblesse européenne avant d'être adopté par la classe marchande émergente. Son utilisation était généralement réservée aux activités en extérieur, souvent montées, comme la chasse ou la fauconnerie.
Si une hypothèse stipule que la pointe permettrait de servir de point de repère (comme un viseur) aux archers, je n'ai personnellement pas trouvé de traces historiques pouvant la confirmer. Mais l'idée reste intéressante.
- On remarque tout de même que c'est un accessoire de la noblesse qui a été (définitivement) associé à Robin pour, une fois de plus, rappeler qu'il n'est pas totalement en bas de l'échelle sociale.
Après ce dernier gros aparté, ces articles sur Robin se termineront dans le prochain avec la fin (pour le moment) de son évolution dans la culture populaire.
Il ne reste plus qu'à couvrir un dernier siècle de son histoire : celui du cinéma.
Ecrit par Anthony Barone dans Contes et Légendes le 7 Février 2019
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