Robin Hood by Gulavisual
Robin Hood - Héros du peuple ?
Parmi les héros populaires les plus appréciés depuis de nombreux siècles et encore régulièrement présents en tant que personnages principaux ou secondaires, Robin des Bois fait office de leader aux côtés des chevaliers d'Arthur.
Extrêmement présent dans notre culture, il est reconnu par tous en une seconde, j'en veux pour preuve qu'il suffit de montrer à n'importe qui une image d'un homme avec un arc et des habits portant une vague touche de vert et il vous dira qu'il s'agit de Robin des Bois.
Mais une surreprésentation amène généralement à modifier le conte d'origine au point que tout le monde pense connaître un héros qui n'a finalement plus grand-chose à voir avec l'original. Est-ce le cas pour ce personnage plusieurs fois centenaire ?
Il est donc temps de nous pencher sur le cas du légendaire Robin à la capuche.
Voici comment le conte d'origine est actuellement connu de façon populaire. Robin est un noble déchu ayant vraiment existé et dirigeant un groupe de voleurs au grand cœur qui "volent aux riches pour donner aux pauvres".
Depuis la forêt de Sherwood, ils s'opposent aux plans machiavéliques de Jean sans Terre qui a profité du départ en croisade de son royal frère, Richard Cœur de Lion, pour s'emparer du trône.
Plongé dans la souffrance à coups de taxes exorbitantes prélevées par le shérif de Nottingham, le petit peuple sera l'allié de Robin aux côtés de ses joyeux compagnons ayant tout perdu. Petit Jean, frère Tuck et dame Marianne seront certains des noms qui accompagneront le fameux archer tout au long de ses aventures jusqu'à renverser l'usurpateur avant le retour du roi Richard.
Heureusement, Robin a un atout de taille : son adresse à l'arc légendaire qui lui permettra de surmonter les épreuves et de gagner un tournoi organisé pour le capturer en fendant une flèche en deux d'un seul tir.
À l'origine, l'histoire de Robin est issue d'une tradition orale anglaise de la fin du Moyen-Âge central et sa première mention écrite date de 1370 dans Piers Plowman.
De son vrai titre William's Vision of Piers Plowman (Pierre le laboureur en français), il s'agit d'un texte de sept mille vers écrit par William Langland et considéré comme l'un des premiers chefs-d'œuvre de la littérature médiévale anglaise aux côtés des Contes de Canterbury et de Sire Gauvain et le Chevalier Vert.
Satire sociale allégorique, le texte suit le parcours initiatique du narrateur à la recherche de trois personnages : Dowel ("Do-Well"), Dobet ("Do-Better"), et Dobest ("Do-Best"). Dans ce récit, donc, un moine vantard est heureux de dire qu'il peut raconter l'histoire de Robin des Bois et de Randolf, comte de Chester ("I Kan rymes of Robyn Hood and Randolf Erl of Chestre.").
Cette mention par ce personnage en particulier indique que, manifestement, tout le monde les connaît déjà à l'époque. Toutefois, le caractère du moine indique plus un phénomène récent, populaire et moqué par ses contemporains lettrés qu'un récit apprécié depuis longtemps pour la profondeur de son message ou la qualité de son récit.
- Un peu comme si quelqu'un racontait fièrement qu'il connaît par cœur Twilight ou 50 Shades of Grey dans une discussion sur les classiques de la littérature...
Robin Hood and the Monk - 1450, manuscrit, Université de Cambridge, Angleterre.
Malgré cette piètre reconnaissance, les premières ballades écrites dédiées au prince des voleurs finissent par apparaître plus tard au XVème siècle.
Le plus ancien vestige date de 1450 et il s'agit d'une ballade pour enfants nommée Robin Hood and the Monk (Robin Hood et le Moine).
Ici, le héros est Petit Jean ("Little John") qui sauvera Robin par la ruse malgré le refus de celui-ci d’honorer une dette de pari.
Faisant passer sa loyauté avant la déception face au manque de parole de son chef, Petit Jean restera à son service non sans lui avoir expliqué qu'il ne devait pas faillir à la confiance de ses hommes sans quoi il se retrouverait seul ou exposé aux trahisons.
En effet, Robin s'était fait capturer par un moine l'ayant trahi alors qu'il n'avait plus de compagnons. En représailles, Petit Jean tuera le moine ainsi que son page.
Peu de temps après les premières ballades écrites, un livre tentant de les regrouper en un récit unique et logique fera son apparition. A Lyttell Geste of Robyn Hode nous dépeint ainsi la vie d'un criminel apprécié par les petites gens car il s'oppose à un système corrompu qui fait souffrir son peuple.
Si son sens moral est loin de celui d'un héros (il vole et tue régulièrement), Robin surpasse malgré tout ses adversaires à travers certaines actions altruistes et le fait que, comme la fin justifie les moyens, il ne commet pas de crimes sans avoir une certaine raison de le faire.
Ce texte apporte de nombreux détails intéressants d'un point de vue historique avec des détails sur la vie courante, légale, sociale et militaire, mais également des informations sur les connaissances géographiques des anglais au XVème siècle (malgré une action située en 1330-1340 sous le règne du roi Edward III).
Ce récit est plus ambigu que les ballades sur les origines sociales de Robin qui décrivaient sa famille comme des yeoman (propriétaires terriens formant une élite villageoise puis gardes d'élite des souverains britanniques à partir de 1485) l'idée restant tout de même de le situer socialement entre les paysans et les nobles.
Beaucoup de détails de la légende de Robin proviennent de ce récit. Son opposition avec le shérif local y revient plusieurs fois, l'organisation d'un tournoi d'archerie par celui-ci pour capturer Robin est ici utilisée deux fois (l'exploit de la flèche fendant la précédente en deux fut ajouté a posteriori) et Petit Jean ainsi que Will Scarlet (Will "Scarlok" ou "Scathelocke" dans les premières versions) y sont ses compagnons permanents.
Un autre personnage récurrent qui disparaîtra pourtant de la plupart des adaptations futures est un noble chevalier nommé (après plusieurs chapitres d'aventures) Richard. En tant que protecteur valeureux et ami de Robin, il est probablement la cause de la confusion avec le roi Richard dans les adaptations ultérieures.
Pourtant, les oppositions du groupe d'aventuriers avec le roi Edward sont directes et celui-ci ira jusqu'à se déguiser lui-même pour capturer le hors-la-loi qui sème le chaos parmi sa noblesse avant de le gracier pour sa droiture d'âme.
Détail intéressant à noter pour l'époque, Robin est ouvertement un fervent anticlérical (partisan de la séparation de la religion et du pouvoir politique) et déteste les représentants de la religion. Il prie et remercie régulièrement non pas Dieu mais Marie pour sa bonté et refuse d'ailleurs de blesser les femmes, même si sa vie est en jeu ou bien pour chercher à se venger.
- Tandis que, de leur côté, les hommes subissent une punition sanglante ou mortelle en cas de trahison comme pour le moine de la première ballade.
Quant au fameux "voler aux riches pour donner aux pauvres", hormis le fait qu'il prête une certaine somme à son compagnon chevalier sans lui redemander plus tard, il n'en est fait mention nulle part et aucune autre action ne s'approche de ce concept.
Certes, Robin incarne une forme de rébellion contre la société féodale de son époque (probablement en raison de l'origine modeste des premiers conteurs de sa légende) mais il ne prend pas non plus la tête des paysans pour s'opposer directement au pouvoir.
Il s'agit plus d'un homme impulsif vivant selon ses propres critères moraux.
Même s'il a été sûrement poussé à prendre cette vie, le fait qu'il finisse par rejeter la grâce du roi après de nombreuses années après son pardon pour rejoindre la forêt en tant que hors-la-loi illustre bien que ses actions sont plus le fait de ses envies personnelles que celles d'un homme devenu héros du peuple par la force des choses.
D'ailleurs dans les premières versions, si les paysans l'aiment bien, il n'est pas fait mention de leurs plaintes comme par exemple la présence de taxes trop importantes. Il est plus apprécié pour ses valeurs personnelles (courage, liberté et courtoisie) dont il devient le champion dans une société amorale et élitiste.
Dès le début du XVème siècle, Robin se verra associé aux fêtes du May Day, la traditionnelle fête du printemps se déroulant le 1er mai dans de nombreuses cultures du nord de l'Europe.
Lors de ces fêtes populaires, de nombreux participants se déguiseront comme Robin et ses compagnons pendant que des représentations théâtrales de ses aventures seront jouées régulièrement.
S'il n'est pas présent partout, de nombreuses régions continueront à l'inclure dans ces fêtes jusqu'au règne de la reine Elisabeth I (1558-1603) avec un pic de popularité lorsqu'il s'invitera à la cour d'Henry VIII (1491-1547).
Ironie du sort, de nombreuses pièces de Robin jouées à ces occasions le seront pour que les fonds aillent à la paroisse locale qui avançait généralement les fonds de la fête pour pouvoir vendre sa production de bière lors de l’événement.
C'est à cette époque que seront créés les personnages de Marianne (Maid Marian ou Marion selon les versions) et frère Tuck (à ce moment sans nom mais représenté comme un moine bon vivant).
Les acteurs jugeaient manifestement que les aventures du voleur manquaient d'humour et de romance pour les spectateurs de ces pièces populaires.
Petit fait intéressant, Tuck n'est pas le vrai nom du moine accompagnant Robin, il s'agit d'un surnom puisque le mot "tuck" désignait la ceinture serrant la bure des moines franciscains de l'époque.
Le nom de Marion vient quant à lui d'une pièce de théâtre française de 1284 et l'une des huit seules nous étant parvenues du XIIIème siècle : Le jeu de Robin et Marion.
Il s'agit d'une pastourelle (poème joué et chanté dédié à la séduction d'une bergère par un chevalier... oui, c'est un genre très spécifique) écrite par le jongleur Adam de la Halle lors d'un passage en Sicile alors qu'il servait le comte Robert II d'Artois.
Dans cette pièce, Marion est une bergère qui refuse de se laisser séduire par le chevalier Aubert puisqu'elle est amoureuse d'un paysan nommé Robin. Devant ses refus obstinés de céder à ses avances, le chevalier rosse Robin par vengeance mais, dépité, les laisse à leur amour.
L'association se fera naturellement avec le voleur lorsque le récit franchira la Manche et Marion et Robin deviendront instantanément un puissant symbole romantique pour le peuple.
Cette romance sera d'ailleurs rapidement étoffée car le personnage de Guy de Gisbourne, compagnon du Sheriff de Nottingham, apparaîtra dès 1475 en tant que rival de Robin pour le cœur de Marianne.
Finalement, tous ces ajouts seront intégrés à la Geste de Robin. Une édition de 1560 présente toutes les nouveautés des pièces avec ce sous-titre : "Une pièce sur Robin des Bois, très adaptée pour les jeux de mai".
Le mariage de Robin et Marianne. Si la plaque indique que le roi les bénissant est Richard Cœur de Lion, les armoiries présentes sur son tabard sont celles d'Edward III, ce qui indique que la plaque fut sans doute posée à posteriori en mélangeant les versions de la légende de Robin - Année inconnue, Plaque située à Nottingham Castle, Angleterre.
En 1598, sous la reine Elizabeth I d'Angleterre, Anthony Munday réécrira le conte en le nommant The Downfall and The Death of Robert Earl of Huntington (publié inachevé en 1601) en situant l'histoire en 1190, pendant le départ en croisade de Richard Cœur de Lion et en faisant de Robin un noble déchu comte de Huntington.
Ce changement fut inspiré par l'histoire de Fulk FitzWarin (le préfixe "Fitz" désigne un bâtard royal) qui vécut au XIIème siècle en Angleterre et se rebella contre une décision du prince Jean, devenant ainsi hors-la-loi. Il luttera longtemps pour retrouver son titre à la frontière du Pays-de-Galles.
Dans cette adaptation, Marianne y devient une dame de compagnie que le prince Jean tente de séduire et l'histoire est contée par John Skelton (le tuteur d'Henry VIII) après les faits. Comme John Skelton avait réellement écrit les bases de ce récit pour qu'il soit joué à la cour du roi, la pièce est dure, complexe et tranche radicalement avec le conte pour enfants du peuple qui aura du mal à se le réapproprier après ce bref passage dans la noblesse.
De là et jusqu'en 1795, la légende de Robin va perdre en popularité et en profondeur, devenant petit à petit une parodie d'elle-même à travers de simples pièces sans grande personnalité ni message pertinent.
La faute revient aux différentes réadaptations portant des messages trop opposés pour que le public puisse comprendre ce que Robin incarne. Entre noble déchu luttant pour son titre et champion des pauvres et de la morale, les spectateurs s'y perdent et laissent à nouveau le personnage aux enfants à travers des récits simples et loufoques qui ne peuvent plus enthousiasmer les adultes.
Il faudra donc attendre 1795 pour que Joseph Ritson publie une compilation fidèle des ballades de Robin (après la redécouverte des textes par l’évêque Thomas Percy en 1765). Cette publication revenant aux sources du roi des voleurs redonne de l'inspiration aux auteurs de l'époque.
Ritson était un grand admirateur de la révolution Française et cette parution n'était pas anodine puisqu'elle servait la propagation de son idéal politique. En guise de préface, il regroupe d'ailleurs les grandes lignes de la vie supposée de Robin selon sa propre vision, le nommant Robert Fitzooth, prétendant au titre de duc de Huntingdon, né dans le village de Locksley et faisant de lui un noble se rebellant contre le pouvoir abusif de ses anciens pairs.
Il développera abondamment sa pensée en défendant chaque point de l'idéologie qu'il attribue à Robin et ce texte, aidé par le succès d'édition du livre, aidera à la propagation de son message révolutionnaire en Angleterre.
De cette publication naîtront deux œuvres majeures qui poseront de nouvelles bases à la légende de Robin.
Puisque la publication de Ritson compilait les textes historiques, elle attira deux célèbres passionnés de cette discipline. Le premier, Walter Scott, était un très bon ami de Ritson tandis que le second interviendra plus tard de l'autre côté de la Manche et se nomme Alexandre Dumas.
Joseph Ritson, antiquaire et critique - XIXème siècle, gravure en pointillé sur papier, 12.70 x 9.50cm, James Sayer, Scottish National Portrait Gallery, Édimbourg, Ecosse.
Ecrit par Anthony Barone dans Contes et Légendes le 20 Novembre 2018
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