The Nightmare Before Christmas - 1993, Tim Burton, Touchstone Pictures.
Halloween
Depuis quelques années, la fête d'Halloween s'est démocratisée en France auprès d'une jeune population y voyant un autre prétexte que le carnaval ou les conventions pour se déguiser publiquement sans complexe. Parmi les critiques longtemps soulevées, l'argument qu'une fête aussi américaine n'avait rien à voir en France revenait souvent. Vraiment ?
On pourrait revenir sur les échanges culturels entre pays depuis des millénaires. Mais si vous suivez un peu ces articles, vous avez maintenant dû remarquer que toutes les cultures se sont influencées les unes les autres depuis toujours.
Chaque pays a eu une certaine influence sur d'autres à un moment de son existence, que ce soit linguistique ou culturel. Qu'on le veuille ou non, toutes les cultures d'aujourd'hui sont le produit de nombreuses autres, particulièrement dans un pays ayant reçu autant de migrants comme les Etats-Unis.
Avec Halloween, nous avons ici un cas intéressant puisque cette fête est considérée comme américaine principalement car ce sont eux qui l'ont à nouveau rendue populaire. Pourtant, elle avait déjà presque atteint sa forme moderne bien avant de s'exporter dans le nouveau monde.
Se déroulant la nuit du 31 octobre, Halloween est surtout célébrée par les enfants et les jeunes adultes qui se déguisent théoriquement en monstre ou en quelque chose évoquant le macabre avant de faire le tour des maisons du quartier pour prononcer la fameuse phrase "trick or treat" ("un mauvais tour ou une friandise"). Si le propriétaire ne donne pas des friandises sucrées il s'expose donc à des représailles plus ou moins bon enfant comme des œufs jetés sur les murs.
Pour comprendre ses origines, il faut expliquer rapidement le calendrier celte pré-chrétien. Celui-ci était divisé en deux parties : une saison sombre et une saison claire. Le nouvel an était situé le 1er novembre et marquait l'entrée dans la saison sombre, celle liée au monde des esprits et des dieux, là où les événements surnaturels se produisaient le plus fréquemment à cause d'un affinement des barrières entre l'autre-monde et le nôtre. Le coucher du soleil était l'équivalent de notre minuit : la fin et le début de la journée. Celui du 31 octobre marque donc la fin de l'année et l'entrée dans le monde des esprits pendant quatre jours de transition (trois sur le continent) appelés fêtes de Samhain.
Dirigées par les druides et regroupant toutes les classes de la société, le but était à l'origine de célébrer la fin des moissons et des combats pour la trêve hivernale, mais on y célébrait également des mariages et y réglait des problèmes ou des avancées juridiques.
Fairy Queen, Cover Art for Symùon - Marie Magny
Ces jours sont hors calendrier et n'existent ni sur l'ancienne ni la nouvelle année, ils n'existent que pour faciliter l'arrivée dans notre monde des Aos Sí, les créatures féeriques habitant dans l'autre monde, ainsi que les esprits des morts venus rendre visite à leurs proches. Durant ces jours rituels, il fallait laisser quelques offrandes près du feu pour les proches décédés, mais également à l’extérieur de la maison pour que les autres esprits puissent survivre à l'hiver et laissent la demeure tranquille.
Après cette période sombre et froide, le solstice d'été était donc particulièrement célébré pour le retour dans la saison claire, d'où l'importance des sanctuaires et fêtes lui étant dédiés dans de nombreuses civilisations d'Europe du Nord.
Les celtes n'avaient pas l'écriture et il est difficile d'estimer la date d'origine des fêtes de Samhain, mais il est probable qu'elle remonte aux débuts de la sédentarisation des humains dans ces régions avec des célébrations moins abouties. En revanche, on sait que le nom de Samhain est d'origine irlandaise et c'est en Irlande que les fêtes de Samhain seront les plus fidèlement célébrées jusqu'à donner naissance à Halloween après la christianisation du pays.
En effet, ces célébrations seront fêtées sous ce nom pour la dernière fois aux alentours de 560 durant l’installation de la chrétienté en Europe par l'assimilation et l'appropriation des fêtes locales. Si la relation avec les dieux et créatures fut bannie, l'aspect de la célébration des morts sera conservé pour donner naissance à la Toussaint qui honore les saints de cette religion le 31 octobre avant la commémoration des fidèles défunts le lendemain.
Dans la vision populaire, cette période deviendra la fête des morts en général.
-Pour la petite histoire, à l'origine, ces fêtes se célébraient les 9, 11 et 13 mai et elles avaient déjà remplacé les Lemuria romaines qui devaient repousser les âmes des victimes de mort violente ou tragique. Comme elles ne pouvaient disparaître, elles devaient être chassées chaque année par les pères de famille en leur offrant des fèves noires.
Le mot Halloween est en réalité la contraction de "All Hallows' Evening" ("soir de tous les sanctifiés") déjà contracté en "Hallowe'en". Aux alentours du XIIème siècle, les cloches sonnaient pour les âmes des morts et les fidèles étaient invités à descendre dans les rues, habillés en noir pour partager des gâteaux faits maison pour se rappeler collectivement des disparus. Si ces célébrations se font dans toute l'Europe chrétienne, c'est dans les pays germains et saxons que le XVème siècle voit apparaître des groupes d'enfants pauvres faire le tour des maisons pour collecter les gâteaux en échange d'une prière pour leurs proches décédés ainsi que l'idée qu'ils mangeront le gâteau en tant que représentants des défunts.
Danse Macabre - 1874, Camille de Saint-Saëns
En parallèle, dans ces sociétés marquées par la mort, des prières collectives s'organisaient dans les cimetières à la lumière de bougies représentant les âmes ou étant censées les guider vers leur précédent foyer. Souvent, les croyants portaient leur bougie dans de gros navets vidés et taillés pour laisser passer la lumière. En France, la croyance populaire voulait que pendant cette nuit, les morts sortent de leurs tombes pour danser dans les cimetières en danses macabres qui seront représentées symboliquement sur les églises pour illustrer l'absence de privilège face à la fin inéluctable.
La plus probable source des déguisements d'Halloween vient d'ailleurs des nombreux spectacles de rue composés d'artistes étant déguisés en cadavres de différentes classes de la société pour représenter ces danses macabres.
Le changement le plus important menant à la fête que l'on connaît aujourd'hui, séparée de l'église, intervient au XVIème siècle lors de la Réforme Anglaise (ou Schisme Anglicain) lorsque le roi Henry VIII rompit les liens avec le pape et l'église chrétienne pour créer l'église protestante. La notion de purgatoire n'existant plus, les fêtes célébrant des esprits devenaient incompatibles avec les nouvelles croyances et ces âmes furent alors considérées comme de simples démons ou esprits maléfiques. De plus, Halloween fut progressivement éclipsée par la popularité de la fête "Guy Fawkes Night" le 5 novembre, célébrant l'échec de l'assassinat du roi James Ier et des Lords de 1605, et où l'on allumait des feux de joie partout en Angleterre. Seuls l'Écosse et l'Irlande continuèrent d'observer les traditions du 31 octobre, car ils les considéraient comme un important rite de passage des défunts réunissant les différentes communautés.
Ce n'est qu'au XIXème siècle, lors de grandes vagues d'immigrations venues d'Écosse et d'Irlande qu'Halloween finit par arriver massivement aux Etats-Unis pour n'être réellement fêtée sur tout le territoire qu'à partir de la première décennie du XXème siècle. C'est également à cette période qu’apparaissent en Irlande puis en Écosse les premières versions des désormais traditionnels Jack-o'-lantern (ou Will-o'-the-wisp), les citrouilles vidées et taillées avant d'être illuminées par une bougie. Contraction de "Jack of the lantern" et "Will of the wisp", leur sens varie dès leur origine, car, selon le créateur, elles représentent des monstres ou bien les esprits des morts et sont exposées soit pour se protéger des esprits, soit pour faire peur aux visiteurs trop entreprenants.
En 1937, le journal irlandais Limerick Chronicle parle déjà d'un concours dans un pub de la meilleure "couronne de Jack McLantern". Et on pourrait sûrement remonter encore plus loin sur l'origine de cette tradition puisqu'en 1856 dans son livre The British, Roman, and Saxon antiquities and folklore of Worcestershire, le folkloriste Jabez Allies parle de son enfance (il est né en 1787) où les enfants de paysans taillaient des "Hoberdy's Lantern" dans des navets avant de les illuminer pour chasser les voyageurs et vagabonds qui passaient la nuit. En effet, si aujourd'hui on ne taille plus que des citrouilles, durant le XIXème siècle, on taillait aussi bien des navets, des calebasses ou des courges selon les origines sociales.
Will-o'-the-wisp est, quant à lui, le nom anglais des feux follets tout comme Jack-o'-lantern, friar's lantern, hobby lantern et hinkypunk. "Wisp" désignant à l'origine une torche constituée d'un assemblage de matériaux brûlants rapidement, le nom "Jack à la lanterne" était en fait une variation de "Will à la torche" qui désignait différents phénomènes naturels très brefs comme la foudre en boule, les feux de Saint-Elme, l'électricité statique et les ignis fatuus (latin moderne littéralement traduit par "feu fou"). Tous ces phénomènes étaient attribués à des fées ou des esprits moqueurs ou maléfiques et étaient parfaits pour inquiéter les populations rurales où ils étaient souvent présents la nuit. Notamment les feux follets (ou ignis fatuus, donc) qui se manifestent grâce au gaz dégagé par les cadavres en décomposition mal isolés. Dans les campagnes et les cimetières de l'époque, ils étaient donc bien plus courants que de nos jours où ce phénomène est devenu encore plus rare qu'il ne l'était déjà.
Juste Ciel 3 : Gouttes de feu - Centre national d'études spatiales, Patrick Baud (Axolot), 2016
Toujours selon Jabez Allies, le prénom Jack serait quant à lui issu d'un conte où un jeune homme réussit à piéger le diable par la ruse (comme toujours, différemment selon les versions de l'histoire) avant de le relâcher contre la promesse de ne jamais prendre son âme. Cependant, une fois mort, Jack ne va pas au paradis, car trop mauvais, mais Satan refuse également de l'accueillir en enfer puisqu'il a juré de ne pas prendre son âme. Pour se moquer de lui, Satan lui donne seulement une flamme des enfers qui ne s'éteindra jamais afin qu'il puisse s'orienter. Jack taille donc un navet pour y loger sa flamme et part errer pour l'éternité avec sa lanterne afin de d’atteindre un endroit où il pourra enfin trouver le repos.
Cependant, même s'il est difficile de trouver des sources fiables, il se peut que ce nom fût utilisé dès 1660 pour désigner les gardes patrouillant la nuit avant de devenir un synonyme de Will-o'-the-wisp quelques années plus tard. On le trouve cependant à l'écrit dès 1704 dans la satire sociale A Tale of a Tub de Jonathan Swift : "Sometimes they would call Jack the Bald ; sometimes Jack with a lantern ; sometimes Dutch Jack".
De nos jours, l'esprit d'Halloween est généralement personnifié sous l'image d'un humanoïde à tête de citrouille nommé Jack-o'-lantern. Cette imagerie est en fait issue des adaptations de la nouvelle The Legend of Sleepy Hollow (1820) de l'historien et romancier Washington Irving. Le cavalier sans tête, fantôme d'un mercenaire allemand décapité par un boulet de canon pendant la guerre d'indépendance et cherchant sa tête perdue, se vit associé à Jack-o'-lantern dans la plupart de ses adaptations filmiques (ou dans les illustrations de la nouvelle) car il était représenté soit en portant une pour s'éclairer la nuit, soit en remplacement de sa tête. L'idée venait du texte original où une citrouille écrasée est retrouvée là où le personnage principal a rencontré le cavalier sans tête la veille. On peut notamment retrouver cette image dans la deuxième histoire du long-métrage de Walt Disney de 1949 Le Crapaud et le Maître d'école (The Adventures of Ichabod and Mr. Toad).
Halloween fut popularisé dans le monde dans les années 80-90 grâce à une période d'explosion de la culture populaire (sur laquelle nous reviendrons évidemment). Parmi les différents thèmes rendus plus facilement accessibles par la multiplication des œuvres, on peut noter la présence de récits de fantômes, de monstres et d'une vision d'une certaine beauté dans la mort dans des genres variés.
Dans les comédies les plus populaires, on pouvait voir quotidiennement des monstres depuis 1969 avec la série télé Scooby-Doo qui apportait un certain regard sceptique sur les témoignages fantastiques puis en 1984 et 1989 avec les deux films d'aventures comique Ghostbusters qui seront suivis de deux séries télé et plusieurs jeux vidéo. En 1991 puis 1993, ce sont les deux nouvelles adaptations cinématographiques de l'humour noir et cynique de la Famille Addams suivies d'une nouvelle série animée qui rendront la licence connue à l’international.
Thriller - 1982, Michael Jackson, John Landis
C'est aussi en 1982 que Michael Jackson est couronné le roi de la pop avec son succès mondial Thriller, encore aujourd'hui l'album le plus vendu au monde avec 66 millions d'exemplaires écoulés. Une partie de son succès est due à son impressionnant clip de quatorze minutes réalisé par John Landis (Blues Brothers, Trois Amigos!, American College, Un fauteuil pour deux...) dans lequel la voix de basse est celle de Vincent Price, célèbre acteur spécialisé dans les films d'épouvante depuis 1930. Son nom apparaît d'ailleurs dans le clip lorsqu'ils sortent du cinéma.
C'est également l'âge d'or de l'univers de Tim Burton avec notamment ses Beetlejuice (1988), Batman (1989) , Batman Returns (1992), Edward Scissorhands (1990) et Sleepy Hollow (1999), le tout appuyé par les superbes compositions de Danny Elfman. Mais c'est l'immense succès de son Nightmare Before Christmas (1993) et son ton romantico-gothique au visuel inspiré de l'expressionnisme allemand qui aura la plus grande influence sur la popularité future d'Halloween à l’international.
À noter également la popularité de la série de films Halloween initiée par John Carpenter en 1978 (premier rôle au cinéma de Jamie Lee Curtis) en tant que premier film du genre "slasher" (film où l'antagoniste poursuit ses victimes avec une arme tranchante), héritier de Psycho d'Alfred Hitchcock (avec Janet Leigh, la mère de Jamie Lee Curtis).
Spooky Jack O' Lantern, by BillCreative
Tous ces thèmes abordés l'avaient déjà été depuis longtemps par de très nombreux auteurs, tout comme l'envie de nouveautés et l'envie de ne plus forcément se contenter des traditions locales fut présente à chaque génération. Cependant, l'émergence simultanée de toutes ces œuvres (bien que minoritaires) à une époque où la frontière entre œuvres pour adultes et enfants s'est assez estompée (comme avec la série d'horreur pour un public jeune, Chair de Poule, en 1992) a permis de banaliser et de dédramatiser ces différentes visions de la mort et du surnaturel.
C'est ainsi que l'idée de s'amuser avec les monstres parut de moins en moins incongrue et Halloween devint rapidement un simple prétexte pour s'amuser entre amis en sortant déguisés en ces fameux personnages populaires, revenant progressivement dans les pays où elle est née.
This is Halloween - The nIghtmare Before Christmas, 1993, Tim Burton
Ecrit par Anthony Barone dans Contes et Légendes le 25 Octobre 2018
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