The Flying Dutchman - Charles Temple Dix, années 1860, peinture à l'huile sur toile, 58cmx93cm.
Le Hollandais Volant
Dans l'un des articles consacrés aux liches, nous avons rapidement parlé de Davy Jones, celui à qui appartient tout ce qui tombe au fond des océans.
Dans la série de films Pirates des Caraïbes, Davy Jones est capitaine à bord du plus fameux des vaisseaux fantôme, celui qui va nous intéresser aujourd'hui dans ce (relativement) court article : le Hollandais Volant.
Sous son nom original, The Flying Dutchman apparaît pour la première fois dans les écrits en 1790 sous la plume de l'écrivain écossais John MacDonald dans son livre Travels in various part of Europe, Asia and Africa during a series of thirty years and upward.
"La tempête était si forte que les marins dirent avoir vu le Hollandais Volant. L'histoire la plus répandue raconte qu'un Hollandais arrivant au Cap un jour de tempête voulut entrer au port mais ne trouva aucun pilote pour l'accompagner, ce qui mena le bateau à sa perte. Depuis ce temps, la vision du navire apparaît en cas de mauvais temps."
L'histoire semblait déjà populaire chez les marins, car d'autres textes narrent la légende en 1795 puis en 1805 en parlant d'un navire de guerre pris dans une tempête aux abords du Cap de Bonne Espérance avant de couler. Il serait ensuite réapparu dans une tempête de la même région, puis encore ailleurs après que les témoins de cette première apparition aient répandu la rumeur "comme un feu de forêt". Par la suite, pratiquement chaque nouveau témoignage apportera une cause différente à la disparition du navire originel. Beaucoup de versions parlent de différents crimes si atroces que leurs auteurs furent maudits par Dieu, mais sir Walter Scott (1771–1832) sera le premier à parler d'un navire pirate chargé d'un butin sanglant.
Ce n'est pourtant qu'à partir de 1821 qu'un récit plus élaboré raconta la légende en nommant le capitaine du vaisseau fantôme Hendrick Van Der Decken. Dans ce récit, c'est l'obstination de son capitaine qui mène le vaisseau à la damnation éternelle.
Quoi qu'il en soit, le Hollandais Volant deviendra vite la légende de vaisseau fantôme la plus populaire chez les marins, ce qui n'est pas peu dire tant les superstitions sont nombreuses dans ce milieu et à cette époque. Apercevoir brièvement la silhouette d'un vaisseau durant une tempête faisait partie des présages les plus redoutés. Pourtant, le seul point commun de ces histoires était le nom de ce navire ayant appartenu à la compagnie néerlandaise des Indes orientales (Vereenigde Oostindische Compagnie) durant le XVIIIème siècle, peu avant la dissolution de celle-ci en 1799 après deux siècles d'importance majeure.
Dans son livre de 2011 Don't Shoot the Albatross!: Nautical Myths and Superstitions, Jonathan Eyers note qu'une seule source est régulièrement citée comme point d'origine de la légende : le capitaine Bernard Fokke.
Capitaine pour la compagnie néerlandaise des Indes orientales au XVIIème siècle, il était réputé pour la rapidité extrême de son vaisseau reliant Java et les Provinces-Unies. Un de ces trajets pour remettre des lettres au gouverneur Rijckloff van Goens fut réalisé en trois mois et quatre jours, ce qui est prodigieux pour l'époque. Le temps du trajet est d'ailleurs facilement attesté par les registres de 1678. Cette vitesse inégalable à l'époque fut bien entendu attribuée de façon populaire à un pacte avec le diable, d'autant que le capitaine était apparemment très laid, ce qui aida encore plus l’imagination qui n'en avait déjà pas besoin pour ce bateau "volant sur les flots".
Aujourd'hui, la légende du Hollandais Volant est passée des superstitions marines à la culture populaire grâce aux différentes reprises. Richard Wagner lui avait déjà consacré le premier de ses dix opéras majeurs en 1843 (Der Fliegender Holländer) et de nombreux tableaux l'ont illustré, mais c'est au XXème siècle que l'explosion de la culture populaire en fera un incontournable des récits de vaisseaux fantôme.
La liste est trop longue pour parler de toutes ses apparition, mais si personnellement je l'ai découvert dans une aventure de Picsou (de son vrai nom Scrooge McDuck) écrite par Carl Barks en 1959, c'est bien le deuxième film de Pirates des Caraïbes (Pirates of the Caribbean : Dead Man's Chest) qui, en 2006, lui donnera une vraie visibilité auprès du grand public. Étrangement, hormis le nom du vaisseau et le fait qu'il soit peuplé de morts-vivants, il n'y a pratiquement aucun lien avec toutes les différentes versions de la légende, faisant paradoxalement de cette version la plus éloignée de ses origines.
Plus récemment, c'est un arc narratif de l'ultra populaire manga d'aventure One Piece qui a repris le flambeau pour faire connaître le vaisseau et son capitaine fictionnel au grand public. Si ce descendant de Van Der Decken (le IXème du nom) est un homme-poisson parfois loufoque, l'idée d'un capitaine maudit et condamné à errer sur son fameux vaisseau en apportant malheur à ceux qui croisent sa route est bien restée.
Pour finir, si l'on a maintenant une idée d'où nous vient la légende avec le capitaine Bernard Fokke, il nous manque une explication à l'origine des apparitions de ce bateau fantôme.
Et explication il y a ! Car si le Hollandais Volant ainsi que de nombreux bateaux filants au loin sans le moindre vent et volant parfois au-dessus des flots ont été (et le sont encore) aussi souvent vus, c'est qu'il s'agit d'un simple phénomène naturel.
Il entre dans la catégorie des phénomènes optiques, précisément de celle des mirages (qui ne sont pas une mauvaise interprétation de notre cerveau et ne sont donc pas des illusions d'optique) et est également apparu dans One Piece de façon réinterprétée, mais respectant les bases du principe. Son nom ? Fata Morgana.
Pour ne pas entrer dans les détails de la physique de la propagation de la lumière, disons simplement qu'un mirage (au sens où tout le monde l'entend) se produit lorsqu'une inversion des couches de chaleur s'opère. Normalement, en raison de la pression atmosphérique, l'air chaud est plus proche de la surface que l'air froid. Or, dans certaines conditions, une inversion thermique peut avoir lieu lorsque le sol est nettement plus froid que l'air ambiant, créant deux zones bien distinctes de couches d'air au point de dévier la lumière qui les traverse en arc. Si l'on s'en trouve éloigné au point d'être sous la courbure terrestre (ou dépression), on peut alors apercevoir un mirage. Les conditions les plus faciles pour les observer sont les déserts, les lacs et les océans mais on peut également en apercevoir lors de journées particulièrement chaudes.
Les mirages se divisent en trois catégories :
-Les mirages inférieurs (ou mirages chauds) sont les plus communs car ils n'ont pas besoin d'une inversion thermique mais simplement d'un air près du sol si chaud que la lumière en sera légèrement courbée. Le béton des routes chauffant fortement sous le soleil, c'est là qu'il apparaîtra le plus souvent en donnant une impression de flaque reflétant vaguement ce qui se situe derrière elle.
-Les mirages supérieurs (ou mirages froids) sont ceux expliqués dans l'image de droite et permettent de voir au-dessus de la courbure terrestre quelque chose situé en dessous (comme parfois Monaco depuis Nice, des montagnes depuis la mer ou des cités dans le désert). Pour la petite histoire, l'explorateur écossais du XIXème siècle, John Ross, renoncera à trouver une voie traversant le Nord-ouest du Canada lorsque le mirage de montagnes lui barrant la route se dressera devant lui dans le détroit de Lancaster. Ce n'est l'année suivante que son ancien second confirmera qu'il s'agissait bien d'un mirage lorsqu'il continuera sur cette même voie.
-Le dernier mirage est donc celui qui nous intéresse : la Fata Morgana. Ce phénomène est en réalité une superposition de mirages supérieurs et inférieurs superposant et déformant les deux images. Peu stable, l'image obtenue évolue rapidement et peut montrer une partie "réelle" à laquelle s'ajoutent des déformations ou bien multiplier sur la hauteur un petit mirage déformé, donnant l'impression d'observer au loin un plateau ou des tours flottant parfois au-dessus de l'eau. L'image semblant irréelle ou féerique, elle est soumise à l'interprétation de celui qui la voit un peu comme un spectre peut être vu dans la brume. Ce phénomène est observé depuis des siècles car il est souvent présent dans le détroit de Messine situé entre l'Italie et la Sicile et c'est de là que lui vient son nom (italien) depuis les croisades.
Si nous reviendrons en détail sur la fée Morgane lors d'un inévitable article sur le mythe d'Arthur, rappelons juste que, selon les légendes, la demi-sœur d'Arthur avait le pouvoir d'élever instantanément des châteaux et de contrôler les éléments. Lorsque les croisés assistèrent donc à l’apparition de ces tours au-dessus des flots, ils y virent les châteaux de la fée, voir la mythique île Avalon sur laquelle repose le corps du roi Arthur là où l'a déposé Morgane.
Avant les croisades, les légendes parlaient de sirènes habitant les mers de Sicile qui détournaient les marins qui n'étaient pas assez concentrés sur leurs tâches. Mais comme Morgane porte le titre de "Maîtresse des fées de la mer salée", elle fut rapidement associée à la Sicile et plus particulièrement au mont Etna.
Grâce à ces différentes illusions pourtant bien réelles à nos yeux, îles fantômes, monstres, extra-terrestres, mais surtout vaisseaux fantôme apparurent au cours du temps. Nombre de légendes naquirent alors, venant s'ajouter aux centaines d'autres présentes dans les milieux marins.
J'espère en tout cas que cet article relativement simple vous aura plu en attendant une refonte graphique du site qui sera accompagnée d'un certain nombre de sujets préparés pendant l'été.
Ecrit par Anthony Barone dans Contes et Légendes le 14 Septembre 2018
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