Staple remover dragon - Artiste inconnu.
Croyances et superstitions
Depuis les débuts du site, je cherche un moyen d'entrecouper les dossiers de plusieurs articles par un sujet plus court pour alléger le tout et augmenter le rythme de parution. Le problème, c'est que les sujets les plus intéressants (pour moi) sont ceux nécessitant de longues recherches et de nombreuses précisions qui empêchent un travail à la fois rapide et travaillé.
Les habitués du site auront remarqué que l'accent est placé autant que possible sur les sciences et les faits. Le but n'est pas simplement de rapporter les légendes du monde, mais surtout d'en chercher les origines et les explications en restant le plus proche de la méthode scientifique. Neutralité, croisement des sources et des disciplines, principe de parcimonie des hypothèses... j'essaye d’appliquer la méthodologie apprise durant mes cours de zététique, notamment pour démonter les anciennes croyances ou interprétations qui ont pu amener à la création d'idées fantastiques.
Aujourd'hui, je vous propose donc une série d'articles courts qui s'étoffera régulièrement entre les dossiers plus longs. L'idée est de présenter les superstitions, les interprétations faussées et les restes de pseudo-sciences ayant survécu dans notre langage courant ou dans nos habitudes.
À vous de voir si vous continuerez à les utiliser après avoir lu leurs origines.
À tes souhaits !
Il s'agit sûrement de l'une des expressions les plus utilisées de la langue française, mais vous êtes vous déjà demandé d'où elle venait ?
Dans l'antiquité méditerranéenne, on pensait que l'âme (un autre concept spirituel mais sans fondement scientifique) siégeait dans la tête. Par conséquent, tout ce que l'on pensait venir de la tête était sacré, à l’opposé de ce qui venait manifestement du ventre (comme l'éructation et les flatulences).
De plus, le souffle est un symbole de vie : un bébé ne commence sa vie que lorsqu'il respire pour la première fois et un défunt expire une dernière fois lorsqu'il... expire.
L'éternuement était donc vu comme une manifestation sacrée. Les romains y voyaient un bon ou mauvais présage selon la position du soleil et de la lune et, en cas de mauvais présage, le réflexe était de dire "que Jupiter te préserve", plus tard remplacé par "que Dieu te bénisse" lorsque le christianisme prit de l'importance (encore d'actualité dans les pays anglophones avec la contraction en "bless you" de "God bless you").
Dans les autres croyances associées, on avait peur que l'âme ne s’échappe du corps en éternuant. Dans la même idée, si l'on met sa main devant sa bouche en baillant, c'est pour éviter que l'âme ne s'en échappe. Une croyance encore courante chez certaines personnes âgées.
Il était aussi courant de penser des éternuements qu'il s'agissait de l’expulsion d'une créature maléfique. Une idée présente jusqu'à la fin du XXème siècle chez les nourrices irlandaises et écossaises les poussant à croire que les enfants éternuant souvent étaient possédés par les fées.
La version définitive de cette expression vient du Moyen-Âge, au XIVème siècle où l'éternuement était potentiellement le premier symptôme d'une maladie dans une société où la mort était très présente (particulièrement à cause de la peste noire, responsable d'une diminution de 30 à 50% de la population européenne sur cinq ans).
Si l'expression avait gardé un temps son sens d'éloigner le mauvais sort, on souhaitait maintenant à la personne de réaliser ses derniers souhaits avant l'inévitable.
Les superstitions liées aux éternuements sont encore légion dans le monde, mais sont principalement liées à la chance (il ne faudrait pas éternuer à côté d'une tombe ni sur un bateau à quai, à l'inverse, une fois en mer ou trois fois d'affilée apporterait de la chance).
En revanche, dans des pays asiatiques comme le Japon, si l'on pense que le fait que quelqu'un parle de nous nous fait éternuer, on ne réagit pas plus que lorsque quelqu'un tousse. Excepté la troisième fois où l'on demande simplement si tout va bien.
Aujourd'hui, on sait bien que l'éternuement est un réflexe involontaire provoqué par l’irritation des muqueuses nasales qui permet d’expulser les impuretés avant qu'elles n'atteignent les poumons. Si l'on ferme les yeux en éternuant, c'est d'ailleurs pour éviter que ces corps étrangers n'entrent en contact avec eux.
Si ce réflexe n'a rien à voir avec une potentielle âme siégeant dans la tête, l'idée d’expulser un démon n'était finalement pas si éloignée de la réalité.
Il est d'ailleurs bon de rappeler qu'il ne faut jamais empêcher un éternuement à cause de la pression de l'air qui peut perforer les tympans, provoquer des problèmes pulmonaires, et plus rarement, provoquer une rupture d'anévrisme ou une déchirure de l'arrière de la gorge si elle était déjà irritée.
En revanche, mettre la main en protection sans obstruer complètement le nez et la bouche permet de protéger son entourage immédiat en empêchant une trop grande dispersion des germes présents dans les gouttelettes.
Je touche du bois.
Quand j'ai commencé à m'intéresser aux expressions superstitieuses, je pensais que la plupart seraient plus ou moins discrètes et qu'il ne serait pas évident qu'il s'agissait de croyances.
Mais depuis que je fais attention à ces détails, j'ai été impressionné de voir à quel point l'expression "je touche du bois" est encore extrêmement populaire non seulement dans le langage, mais également le geste qui l’accompagne en cherchant frénétiquement un bois de moins en moins présent.
Quoi qu'il en soit, il s'agit de l'une des plus vieilles croyances subsistant encore aujourd'hui puisqu'elle était déjà pratiquée en Égypte antique et chez les perses. Les égyptiens ne voyaient simplement qu'une forme d'énergie spirituelle positive liée au bois tandis que les perses se mettaient sous la protection d'Atar, le génie du feu, au contact du bois.
Plus tard, le Moyen Âge chrétien adapta le geste superstitieux au bois de la croix sur laquelle Jésus Christ aurait été crucifié selon leurs textes sacrés.
Si l'expression n'est pas la même partout dans le monde, l'idée qu'être en contact avec du bois est bénéfique est très présente dans l'histoire de l'humanité (pas le journal, comme aime à le rappeler Bruce Benamran d'E-penser).
En revanche, le mouvement de frapper le bois semble plus difficile à déterminer.
L'origine viendrait potentiellement des celtes qui pensaient que les arbres abritaient fées et esprits. Ils présentaient leur souhait, frappaient l'arbre une première fois pour leur transmettre puis une seconde fois pour les remercier.
D'autres frappaient les arbres pour réveiller les esprits avant de leur adresser leur souhait tandis qu'il était également courant de frapper le bois dans les maisons pour en chasser les esprits y résidant encore. Cette théorie a l'avantage d'expliquer pourquoi l'on retrouve ce mouvement dans la plupart des cultures d'Europe du Nord.
Bien évidemment, le bois n'abrite ni anciens dieux (comme Zeus dont le chêne était l'un des symboles) ni d'énergie invisible poussant vos projets à se réaliser.
En revanche, ce geste entre dans la catégorie des biais de confirmation des hypothèses. Comme cette notion est plus compliquée à expliquer et à intégrer par écrit, je préfère laisser la parole à mon professeur de zététique, Richard Monvoisin, qui l'expliquera bien mieux que moi et de façon plus ludique dans ce cours auquel j'ai moi-même assisté.
L'extrait qui nous intéresse commence à 14mn25 et se termine à la fin de la vidéo.
Troisième cours de zététique de Richard Monvoisin à l'Université Grenoble Alpes en 2016.
Avoir la bosse des maths.
Même si l'expression tombe petit à petit en désuétude, avoir la bosse de quelque chose, c'est être "naturellement" doué dans ce domaine. Cette expression vient d'une pseudo-science encore trop présente : la phrénologie.
Avant toute chose, il est important de préciser que personne ne naît avec un talent immédiatement maximisé. Si un enfant peut avoir des facilités d'apprentissage dans un domaine ou un autre, sans apprentissage et sans pratique régulière, il ne sera jamais considéré comme un génie.
Demandez à un artiste techniquement doué (même si ce mot vient aussi de l'idée d'un "don" divin), il y a de grandes chances qu'il entende régulièrement qu'il "a de la chance d'avoir du talent". Si vous voulez lui faire plaisir, applaudissez son travail et reconnaissez les efforts qu'il a dû faire pour en arriver à ce résultat... mais ne diminuez pas la valeur du fruit de son travail en l’attribuant à un pseudo don de naissance.
Cette réflexion s'applique évidemment à tous les domaines nécessitant l'accumulation de connaissances ou d'heures de pratiques, mais la réflexion revient plus souvent pour les artistes.
Dans le cadre de la science, il est également de bon ton d'imaginer qu'un génie arrive régulièrement pour chambouler les règles établies alors même qu'il s'agit d'un travail collectif de compilation des connaissances. Einstein était particulièrement intelligent mais il s'est basé sur des siècles d'observations et de travaux effectués par des milliers de chercheurs avant lui, il n'a pas tout déduit tout seul pour obtenir le résultat de ses travaux.
D'ailleurs, avant lui, Isaac Newton avait dit cette phrase célèbre "Si j'ai pu voir aussi loin, c'est parce que je me tenais sur les épaules de géants".
Bref, maintenant qu'il est clair que rien n'est définitivement acquis dès la naissance (dans le cadre de la maîtrise d'une discipline), d'où vient cette "bosse" qui nous rendrait directement doué en mathématiques ?
L'hypothèse avancée par le neurologue autrichien Franz Joseph Gall (1757-1828) en 1810 était que, comme le cerveau traite les informations dans différentes zones, le développement de ces zones influencerait le développement du crâne en inscrivant une "carte" où les bosses plus ou moins prononcées indiqueraient les penchants de la personne ainsi que ses capacités naturellement plus développées.
On sait aujourd'hui que ces bosses sont dues à la façon dont l'enfant dort pendant la période de la petite enfance.
Dès 1825, l'hypothèse que Gall cherchait désespérément à prouver via des études et statistiques fortement biaisées et sélectives fut accusée d'être une pseudo-science marginale.
Elle est rapidement démontée méthodologiquement point par point par des études sérieuses mais sera hélas reprise par le professeur de médecine légale italien Cesare Lombroso (1835-1909) qui l'inclut dans ses théories du "criminel né" en 1876.
Cet homme déterministe, raciste et sexiste au possible affirmait que les "blancs" étaient l'évolution des "jaunes" (eux-même évolués des "noirs", donnant ainsi une hiérarchie et un but qui n'existent pas à l'évolution) ainsi que la supériorité de l'homme sur la femme (qui était donc doublement coupable si elle était en plus une criminelle) et même simplement des hommes du nord sur ceux du sud.
Sa grande idée, qu'il défendra toujours et tentera d'appliquer sans succès aux enquêtes policières, était qu'un criminel était biologiquement programmé pour l'être dès sa naissance et ne pourra jamais changer.
L'association à cet homme extrême contribuera heureusement au déclin de la phrénologie même si l'on en trouve encore quelques traces dans des pseudo-sciences déterministes ou dans quelques romans comme ceux de Balzac où certains personnages voient leur caractère associé à la forme de leur crâne.
Plus tard, les nazis intégreront avec plaisir l'idée du criminel né à leurs thèses eugénistes aux côtés de toutes les théories fumeuses écartant le facteur social.
Franz Gall contribua pourtant au progrès des connaissances liées à la physiologie nerveuse et ses travaux, bien que biaisés, illustrent bien le procédé scientifique. Il est fait d'hypothèses qu'il faut tester méthodologiquement pour la confirmer ou l'infirmer avant de la soumettre à des pairs qui tenteront de reproduire les résultats présentés afin de transformer cette hypothèse en théorie.
Un proverbe assez juste dit que la différence entre le maître et l'élève est que le maître a échoué bien plus de fois plus que l'élève. Cette idée représente bien mieux les progrès scientifiques que celle d'un génie apparaissant de nulle part pour produire du premier coup un résultat soi-disant parfait qui n'évoluera plus (comme le concept aberrant de l'homéopathie qui n'a pas évolué en deux cent vingt ans).
Quoi qu'il en soit, maintenant que vous connaissez les étranges origines de ces expressions, à vous de voir si vous souhaitez toujours les utiliser.
Pour ma part, j'essaye de ne plus faire appel à elles, mais il est difficile de ne pas être mal vu si l'on ne prononce pas un "à tes souhaits" à son entourage. Heureusement, avoir la bosse de quelque chose est facilement oubliable et a déjà commencé à disparaître du langage courant.
Ecrit par Anthony Barone dans Contes et Légendes le 22 Mars 2019
Informations
Historia Draconis
Tous droits réservés
Site créé par
Anthony Barone et Mai Tran
avec WebAcappella Responsive
Visiteurs depuis 2015