Griffin Mage by Anthony Devine
Mythes ou Préhistoire ? - Le Griffon
Pour finir notre tour des créatures ayant donné naissance aux mythes (et pour se reposer un peu après le gros morceau de la licorne), abordons maintenant le cas du griffon que tout le monde connait, mais dont on ne sait généralement que peu de choses.
Petite précision au passage, si nous avons choisi l'orthographe la plus courante ("griffon"), d'autres sont généralement acceptées. Grype, grif et gryphon ont tous existé en dérivant du latin gryps et gryphus venant eux-même du grec grupos : coubé/crochu.
Encore plus associé à la noblesse que la licorne, le griffon a une apparence hybride entre un lion et un aigle. Ayant ou non des serres à l'avant et/ou des ailes d'aigle, son apparence est nuancée en permanence selon les (nombreux) artistes qui le représenteront au cours de l'Histoire.
Il s'agit de l'une des plus anciennes créatures mythologiques puisqu'elle apparaît dès la fin du IVème millénaire avant notre ère lors de la formation de l'Elam (pays situé au sud-ouest du plateau israélien qui disparaîtra au Ier millénaire avant notre ère).
Les pays voisins de la région du Croissant Fertile (Mésopotamie) assimilent rapidement cette figure emblématique et le griffon sera vite représenté aussi bien en Assyrie qu'en Babylonie et en Sumer.
Devenant récurrent dans les récits de tous ces pays fondateurs, il est déjà présent dans l’Épopée de Gilgamesh qui est le premier succès littéraire de l'humanité.
Pour rappel, comme les mésopotamiens créèrent l'écriture, ils furent donc les premiers à poser par écrit leurs légendes, contes et mythologies qui influenceront d'autant plus facilement les cultures voisines. Mais nous reparlerons rapidement de Gilgamesh qui constituera notre démarrage de l'histoire de la fantasy.
L'écriture aidant donc la propagation de la culture mésopotamienne, l'Egypte découvrit rapidement le griffon puisqu'il apparaît dans leur propre culture dès le IIIème millénaire avant notre ère.
De là, son expansion ne s'arrêtera plus et recouvrira rapidement l'Europe à travers les cultures grecques (vers -640 lors d'un soudain intérêt pour la culture "exotique" des pays voisins) puis romaines.
Le nord de l'Afrique le découvrira aussi rapidement grâce à l'influence égyptienne et le brassage culturel qu'elle produira durant ses trois millénaires d'existence avant son déclin.
Tantôt monture, compagnon ou tireur de char divin, tantôt esprit protecteur ou ennemi symbolique à abattre, le griffon et ses six millénaires fait partie des rares créatures ayant toujours eu une réputation relativement neutre concernant l'alignement moral de sa race en général.
Malgré cette neutralité, son apparence inspiratrice pour les artistes ainsi que sa popularité dans les pays du Nord-Ouest lui permirent de prospérer sans jamais risquer de disparaître, quelle que soit la culture ou la religion en place.
Au Moyen-Âge, à travers les différents bestiaires le situant en Asie (souvent en Inde), il est toujours considéré comme un oiseau "commun" et peu de personnes doutent vraiment de son existence.
- Comme la plupart des créatures fantastiques de l'époque, vous l'aurez sûrement remarqué maintenant.
Régulièrement présent dans les récits de chevaliers, son apparence prestigieuse des deux animaux rois de leur domaine respectif finira par le lier à la noblesse (malgré sa relative absence de symbolisme établi).
Notamment à travers les armoiries où il sera beaucoup utilisé sous de nombreuses variantes avec (en général) l'idée de la protection.
Tout comme pour ses interventions dans les légendes, il était toutefois plus souvent utilisé comme décoration entourant les écus que comme emblème principal.
Il est également à noter que le griffon héraldique est une femelle hormis en Angleterre où c'est un mâle qui ne dispose pas d'ailes (dit "aptère") mais de piquants sur sa partie lion.
Au final, ses plus nombreuses représentations resteront sous forme de statues et gargouilles décoratives présentes dans toute l'Europe médiévale.
Aujourd'hui, c'est la fonction de monture martiale qui a été la plus retenue pour le griffon.
Au-delà des sociétés l'ayant pris comme emblème comme la compagnie aérienne française "Transports Aériens Intercontinentaux", il a également donné son nom à différentes technologies militaires françaises comme récemment à un véhicule blindé high tech de l'armée de terre.
Finalement, malgré son statut de créature millénaire avec un fort potentiel symbolique et connue de presque tous, il est dommage de constater que le griffon n'a jamais vraiment réussi à sortir de son rang de second rôle, quel que soit le domaine abordé. Même avec l'explosion de la culture fantastique du siècle dernier, les univers le mettant plus en avant que comme un mentor noble ou une simple monture plus ou moins intelligente sont assez rares.
L'un des exemples les plus récents revenant sur son histoire est l'excellent jeu de rôle Dragon Age : Origins où la faction du personnage principal (les Gardes des Ombres) en ont fait leur emblème.
Ceux-ci condamnent leur espérance de vie en échange d'une force qui leur permet à eux et à eux seuls de combattre dans l'ombre une armée de monstres avant qu'elle ne se déverse sur le monde.
Les Gardes des Ombres sont l'exemple même des héros oubliés qui n'ont plus rien à perdre et dont le seul destin est de périr au combat avant que la folie ne les engloutisse.
Leur sacrifice, ignoré de tous, permettra pourtant que le reste du monde puisse vivre en paix après eux.
Le choix du griffon comme symbole rend à la fois hommage à son histoire de guide protecteur qui ne sera jamais mis au premier plan, mais permet surtout d'illustrer les notions de noblesse morale et de sacrifice que la culture populaire n'a jamais vraiment pleinement exploité pour ces créatures.
-Ça et le fait qu'ils en chevauchent normalement au combat pour être plus impressionnants... Mais au final aucun griffon n’apparaît dans les trois jeux les mettant en scène.
Un autre exemple récent mettant en avant cette créature est le troisième volet de la saga Harry Potter. Petite nuance toutefois : Buck est un hippogriffe (mi-aigle, mi-cheval), une sous-catégorie particulièrement rapide de griffons popularisée par l'Arioste dans son poème épique Le Roland furieux (Orlando furioso) au début du XVIème siècle.
Dans ses cousins historiques moins populaires on peut également citer l'opinicus, semblable au griffon, mais dont seulement la tête et les ailes sont celles d'un aigle.
Le Simurgh est aussi une créature perse plus proche du phœnix, mais dont l'une des premières formes est un croisement entre chien et oiseau.
Nous en reparlerons justement avec le phœnix et d'autres oiseaux légendaires, mais il était intéressant de noter son existence dans les régions voisines de celle d'où est né le griffon.
En effet, si les origines d'hybrides d'oiseaux géants avec des animaux quadrupèdes se situent pour la plupart dans le croissant fertile, il y a potentiellement deux raisons.
Nous l'avons vu, la première est qu'il s'agit du berceau de l'écriture et donc de la première civilisation à pouvoir transmettre aussi facilement et rapidement sa culture.
La seconde raison a été suggérée en 1993 dans l'article Griffins and Arimaspeans de la revue Folklore puis développée en 2001 par Adrienne Mayor et Michael Heaney dans le livre The First Fossil Hunters: Paleontology in Greek and Roman Times.
Leur théorie est simple : les griffons, chimères et autres cousins hybrides nés dans cette région auraient été inspirés par une présence importante de fossiles de protocératops.
Reprenons dans l'ordre.
Le protocératops ("première tête à corne") est un dinosaure sauropside herbivore du crétacé supérieur (de 99.6 à 65.5 millions d'années avant notre ère) d'environ 60cm à l'épaule et 1m80 de long.
La plupart des fossiles ont été trouvés dans le désert de Gobi en Mongolie notamment grâce aux creusements effectués pour trouver les nombreux gisements d'or de la région.
Selon les auteurs de la théorie de l'origine des griffons, ils seraient nés des échanges entre les nomades Scythes (originaires d'Asie centrale) et les grecs (un temps passionnés par ce peuple exotique, notamment à travers les écrits d'Hérodote).
La découverte de ces ossements au corps de quadrupède possédant un crâne massif à bec aurait donc naturellement amené à la conclusion de l’existence d'une bête de la taille d'un lion possédant une tête de rapace.
Les premières descriptions grecques des griffons pourraient confirmer cette théorie, car elles datent en effet de la même période où les échanges avec les scythes se sont intensifiés et elles font également mention de leur statut de gardiens d'or.
-Logique si les fossiles ont été trouvés chaque fois en cherchant de l'or. Et comme nous l'avons vu avec les licornes, il est plus facile d'imaginer une nouvelle version d'une créature que l'on connaît plutôt que d’imaginer quelque chose d'entièrement nouveau pour notre esprit.
Seulement, si vous avez suivi, vous vous dites que la chronologie ne tient pas puisque les griffons ne viennent pas des grecs.
En effet, malgré la mention des scythes par les assyriens dans leurs écrits, la plus ancienne trace remonte à -640, bien plus tard, donc, que les premiers griffons de la région.
Leur origine n'est donc au final probablement pas à chercher du côté des dinosaures (bien que l'absence d'écriture empêche tout de même d'être sûr que le mythe ne viendrait pas à l'origine d'Asie centrale avant sa représentation dans le croissant fertile).
-Tout ça pour ça ? Et il n'y a donc aucun lien entre les fossiles et les griffons ?
Si aujourd'hui cette théorie est effectivement mise à mal par la chronologie, il est tout de même admis que les scythes ont bien rapporté des récits aux grecs après des découvertes de protocératops.
Ces fossiles ont donc à la fois confirmé et renforcé la croyance en l’existence des griffons qui seront immédiatement intégrés à la mythologie grecque avec l'ajout de leur amour pour l'or et leur nature ovipare qui "confirme" la tête d'oiseau (plusieurs sites de ponte de protocératops ont, en effet, été retrouvés).
La théorie des protocératops est aujourd'hui largement répandue mais il y a tout de même peu de chances que nous ayons réellement découvert d'où venaient les premiers stimuli qui ont mené à la naissance des griffons.
Elle a toutefois le mérite de montrer que l'on peut confirmer un mythe à posteriori avec l'envie de confirmer ce en quoi l'on croit au lieu d’analyser objectivement les faits.
Draw Dinovember 2016 Day 7 Protoceratops by Daitengu
- C'est ce que l'on appelle un biais de confirmation. Accepter les faits allant dans le sens de notre hypothèse, ignorer ceux discordants et chercher à confirmer plutôt qu'à réfuter.
Il s'agit d'un biais cognitif très difficile à surmonter sans même parler de l'influence des faussaires manipulant les preuves.
Squelettes et momies ont toujours été modifiés sans scrupule pour créer des faux de géants, sirènes et, encore tout récemment, d'extra-terrestres qui font la joie de ceux qui veulent croire.
- Il y a aussi les plaisantins qui sont trop pris au sérieux, parfois à leur propre surprise.
Et en guise de conclusion, j'aimerais ajouter que la théorie des protocératops était si attractive que, à l'origine, cette série d'articles sur les fossiles est essentiellement née pour la mettre en valeur.
Mais après avoir approfondi le sujet, il a fallu renoncer à la présenter comme probable en lisant en détail les publications la concernant. La recherche des faits est parfois cruelle...
Si, pour le moment, je ne vois pas d'autre origine au griffon que l'envie de fusionner deux animaux, j'espère au moins que cet article et les précédents sur les liens entre la mythologie et des animaux extincts depuis des millénaires ont put susciter votre intérêt et votre curiosité.
Nous reviendrons un jour sur un autre détournement de fossiles et nos peurs ancestrales.
Mais il faudra un peu de temps : parler de dragons, c'est complexe.
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 03 Juin 2018
Informations
Historia Draconis
Tous droits réservés
Site créé par
Anthony Barone et Mai Tran
avec WebAcappella Responsive
Visiteurs depuis 2015