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Mythes ou Préhistoire ? - Animaux et divinités
Aujourd'hui nous terminons notre longue découverte de l'histoire des licornes de l'antiquité à nos jours. L'âne d'Inde a évolué en créature biblique puis en symbole de noblesse avec l'héraldique et le commerce des rares défenses de narval avant d'entrer dans le folklore des créatures nordiques à travers un conte des frères Grimm au XIXème siècle.
Il est temps de conclure en abordant les différents points restant autour de cet animal mythique à bien des égards.
Avant tout, comment en-est on arrivé au mot "licorne" ?
Il existe deux théories sur sa naissance entre le XIVème et le XVIème siècle. La première serait un emprunt au mot italien descendant de l'"unicornis" : l'alicorno.
Beaucoup de mots de la langue française proviennent des échanges culturels provenant des croisades et notamment grâce aux fréquents passages par la péninsule italienne ("assassin", par exemple, nous vient également de cette langue et de cette période, mais nous y reviendrons).
Par la suite, l'influence de la renaissance italienne sur la culture française fut encore plus importante à travers les travaux d'artistes italiens invités à la cour de France (comme Leonardo Da Vinci pour n'en citer qu'un seul). Les erreurs de transmission orale ont donc facilement pu passer de "l'alicorno" à "la licorne".
La seconde théorie ressemble à la première puisqu'elle résulterait du commerce de la "corne d'unicorne" favorisant une confusion d'un découpage sur "une icorne" donnant par la suite "l'icorne".
Comme toujours, il y a sûrement un peu de vrai dans ces deux théories qui ont pu se recouper facilement, l'une confirmant l'autre.
Au final, nous avons clairement identifié tous les mystères gravitant autour de cet animal mythique et pourtant, nous n'avons pas abordé un éventuel lien avec un animal disparu qui aurait pu inspirer la légende.
En réalité, il reste un élément intrigant concernant la licorne. Et pour cela, nous devons retourner en Perse où une légende locale parle du karkadann ("Seigneur du désert").
Nous avons déjà vu que ce mot désigne là-bas le rhinocéros, mais depuis le Xème siècle, il désigne également une créature qui serait un ancêtre du rhinocéros possédant certaines des caractéristiques des licornes.
Décrit très précisément par le savant perse Abū Rayḥān al-Bīrūnī l'ayant aperçu, il s'agit encore une fois sans l'ombre d'un doute d'un rhinocéros particulièrement grand.
Toutefois, les perses, ayant été préalablement influencés par la lecture de bestiaires européens, y virent une créature magique attirée par les vierges et possédant une corne aux propriétés médicinales. Depuis, le karkadann a fait son chemin dans l’imaginaire local pour devenir un lointain ancêtre rarissime des rhinocéros comme le yéti/bigfoot/sasquatch peut l'être (dans l'imaginaire) pour les humains et les singes.
Pourtant, les perses sont bien plus familiers des rhinocéros que l'Europe du Moyen-Âge. Malgré cette proximité avec ces animaux, le besoin d'exotisme des humains peut-il les pousser à imaginer une version mythique de créatures familières ?
Tout d'abord, oui, très clairement, comme nous le prouve régulièrement notre bestiaire fantastique ou les cultes de divinités animales.
Mais il existe peut-être une seconde raison à l’existence de créatures unicornes dans tant de cultures (la licorne n'est que l'exemple le plus connu et d'autres créatures se sont ralliées à cette appellation malgré des origines différentes).
Notre espèce n'est pas apparue par une volonté divine, nous avons évolué durant des millénaires et existions bien avant d'être considérés comme des hominidés. Elle a côtoyé de nombreuses créatures ayant aujourd'hui disparu et, comme nous le verrons un jour avec les dragons, certaines craintes comme celle des reptiles sont ancrées dans notre ADN pour que nous en ayons une peur innée afin d'y survivre.
Mais ces peurs instinctives ne sont pas les seules protections dont nous ayons disposé pour survivre à la rude nature des anciens temps. La communication et le langage ont également eu une importance cruciale pour notre survie.
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L'origine du langage est encore largement sujette à débat, mais parmi les théories expliquant son apparition, celle du primatologue Robin Dunbar (professeur de psychologie évolutionniste à l'université de Liverpool) est qu'il est né d'un besoin de maintien de lien social.
Tout comme les primates ont l'épouillage, les "ragots" permettent d'apaiser les conflits et de créer des liens d'attachement nécessaires à la survie.
Une autre théorie admise depuis longtemps est le besoin de partage d'informations à but éducatif. Toutefois, l'observation de chimpanzés montre que même dans ces sociétés primitives, certains individus estiment qu'il est plus avantageux de garder les informations pour eux afin d'en tirer un plus grand bénéfice.
Quoi qu'il en soit, l'échange d'informations (importantes ou non) reste au centre des premiers contacts vocaux humains dès leur apparition en même temps que les outils, il y a environ deux millions d'années.
Même si l'essentiel de leur régime alimentaire était constitué de charognes et de cueillettes, la chasse était primordiale dans les proto-sociétés humaines. Chaque éloignement du groupe principal étant risqué, les récits de chasseurs eurent une importance capitale aussi bien pour la survie de notre espèce que pour la distraire à leur retour.
Nous reviendrons la notion de culture primitive commune bien trop complexe pour être développée ici. Disons simplement que, en se déplaçant, les hominidés ont emporté avec eux les informations qu'ils avaient partagées et que l'éloignement allait modifier la base commune qu'ils avaient.
Le peuple proto-indo-européen illustre bien un socle commun entre le cinquième et le troisième millénaire avant notre ère qui s'est dispersé sur les continents de l’hémisphère nord pour se diviser petit à petit en toutes les cultures du Nord que nous connaissons aujourd'hui. Nous reviendrons d'ailleurs rapidement sur le père de toutes les quêtes épiques connues depuis la Mésopotamie : L'épopée de Gilgamesh.
Toute cette longue introduction pour dire que les humains se transmettent certains de leurs récits depuis des millénaires en les modifiant avec le temps. Certaines créatures oubliées renaquirent donc grâce à des contes oraux nébuleux qui n'attendent qu'une manifestation dans la réalité pour reprendre vie.
Dans notre cas, l'Europe avait perdu ses rhinocérotidés depuis longtemps, mais ils avaient bien côtoyé les humains et leur très lointain souvenir a trouvé un écho à travers les créatures unicornes. De plus, il se trouve que dans la région de l'Inde, un ancêtre du rhinocéros vivait encore auprès des humains jusqu'à peu (à l'échelle de l'Histoire).
L'Elasmotherium apparut vers la fin du Pliocène (2.6 millions d'années avant notre ère) et le spécimen le plus récent découvert mourut au Kazakhstan seulement 29 000 ans avant notre ère, à la fin du Pléistocène.
Haut de deux mètres et long de quatre et demi (ce qui les rapproche de la taille des mammouths laineux), il arborait une corne aussi haute que lui.
Possédant des pattes longues et une allure proche du cheval, il s'agissait d'une race rapide pour ses quatre ou cinq tonnes supposées.
Réparti sur toute l'Europe, l'Asie et particulièrement présent en Sibérie, il est quasiment certain qu'il fut à l'origine d'une légende du peuple Evenk (en Russie) parlant d'un grand taureau noir possédant une corne unique et massive sur le front. Au-delà des récits transmis oralement, les différents fossiles retrouvés au cours de l'Histoire venaient confirmer ces antiques légendes.
Si nos ancêtres ont très longtemps côtoyé les différentes espèces d'elasmotherium en leur laissant le temps de marquer notre mémoire collective jusqu'à leur disparition, un certain nombre de témoignages antiques (plus ou moins crédibles et ressemblants) peuvent toutefois évoquer la possibilité qu'un petit nombre d'individus ait survécu un peu plus longtemps que nous le pensions.
Après tout, sa disparition fixée en -29 000 ne date que de 2016 suite à une datation plus précise d'un fossile que l'on croyait précédemment vieux de 350 000 ans.
Il est donc possible que certaines légendes de licornes ne soient pas toujours celles de très gros rhinocéros, mais de restes de traditions orales des derniers elasmotherium ayant côtoyé les humains préhistoriques.
Elasmotherium Sibiricum - Illustration du site DinoAnimals.com
Pour revenir à notre licorne, elle est aujourd'hui plus ou moins tombée en disgrâce.
Après son passage dans les contes des frères Grimm, elle fut réutilisée à outrance dans les récits pour jeunes filles pour incarner la pureté et la grâce que l'on attendait d'elles à l'âge adulte.
Le revers de cette surreprésentation d'une créature trop ancrée dans un symbolisme manichéen intervint dans les années 2000. Après plus de vingt ans de médiatisation de la franchise My Little Pony (la licence de jouets date de 1983), deux mouvements se créèrent lors de la popularisation d'Internet.
Si d'un côté, beaucoup continuaient à soutenir la licence (notamment à travers le lancement en 2010 de la sympathique série tout public, comique et survitaminée Friendship is Magic) la nouvelle liberté d'expression du net permit également à bien d'autres d'exprimer leur ras-le-bol de ces personnages trop caricaturaux et diffusant des messages trop typés pour un développement libre des enfants.
Cette "guerre" inspira beaucoup d'artistes/humoristes qui s'en donnèrent à cœur joie pour illustrer soit la beauté de la bête, soit la place disproportionnée qu'avait pris le débat sur le net en utilisant la licorne comme un symbole d'exagération ultime dans le n'importe quoi.
Il est à noter l'influence sur Internet de la religion parodique de la licorne rose invisible né de la pensée critique et athée dans les années 1990.
Pour dénoncer le caractère arbitraire des religions, ils affirment que leur divinité est à la fois rose et invisible et que rien ne permet aux incroyants de réfuter ni son existence ni le paradoxe de la couleur invisible à l'instar de bien d'autres cultes.
Elle est née pour illustrer le renversement de la charge de la preuve qui stipule que "ce qui est affirmé sans preuve peut aussi être réfuté sans preuve" et que c'est à celui qui affirme l’existence de quelque chose de prouver son existence et non l'inverse.
À l'origine de cette phrase, se trouve le célèbre britannique Bertrand Russel (philosophe, mathématicien, historien, écrivain... entre autres) qui écrivait en 1952 dans son article de l’Illustrated Magazine "Is there a God ?" :
"De nombreuses personnes orthodoxes parlent comme si c'était le travail des sceptiques de réfuter les dogmes plutôt qu'à ceux qui les soutiennent de les prouver.
Ceci est bien évidemment une erreur.
Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes.
Mais si j'affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé.
Cependant, si l'existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l'école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d'excentricité et vaudrait au sceptique les soins d'un psychiatre à une époque éclairée, ou de l'Inquisiteur en des temps plus anciens."
Très actifs, les membres de cette parodie de religion ont produit énormément de sites, d'animations et d'illustrations au même titre que leurs grands rivaux défendant les mêmes idéaux mais adeptes du "flying spaghetti monster".
Celui-ci fut créé en 2005 par Bobby Henderson au Kansas aux Etats-Unis pour protester contre l'enseignement du créationnisme biblique au même niveau que la théorie de l'évolution.
L'étudiant a donc créé le Pastafarisme dans une lettre ouverte en demandant qu'il soit également étudié afin d'illustrer la stupidité d'un enseignement ne reposant sur aucune preuve.
Tout cela participa au final à ancrer encore plus la licorne dans l'humour et la dérision.
Pour finir, malgré sa présence dans les bestiaires depuis les débuts de Dungeons & Dragons, son utilisation dans les jeux de rôles reste très rare ou anecdotique dans ces univers bien moins manichéens que certains peuvent le penser.
Est-ce parce que le contexte dans lequel se sont popularisés les jeux de rôles favorisait plutôt les univers sombres et les réflexions nuancées ?
Ou bien était-ce une volonté des joueurs d'éviter de tomber dans les créatures trop nobles et classiques (hormis les dragons mais ça ne compte pas, ils sont dans le titre) ?
Ou bien étaient-elles étaient déjà trop associées aux petites filles dans les années 70 ?
Il est difficile de trouver une raison précise même si en réalité, il s'agit sûrement d'un peu de tout, comme toujours.
Toujours est-il que sa sous-utilisation dans les cercles de rôlistes permit à la licorne d'être l'une des seules créatures fantastiques à sortir sans mal du cadre de la fantasy auxquel les autres monstres restent maintenant liés et où leur image est contrôlée par les puristes.
Je tenais maintenant à remercier et à féliciter la patience et le courage de ceux qui ont pu finir cet article assez long mais difficile à couper en deux.
Les licornes, c'est fini pour de bon et nous terminerons la série des créatures préhistoriques avec la prochaine qui sera également un classique, mais bien plus rapide à traiter, rassurez-vous.
En attenant, comme d'habitude, continuez d'enrichir votre imaginaire !
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 05 Avril 2018
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