Unicorn - Gwent Card by Akreon
Mythes ou Préhistoire ? - La Licorne Antique
Attaquons-nous maintenant à une créature extrêmement populaire : la licorne.
Incarnation même de la pureté et de la noblesse (avant qu'Internet ne s'en empare), ces caractères ne lui sont pourtant apparus que bien des années après sa naissance pour la simple raison qu'elle fut longtemps considérée comme un simple animal commun comme les autres.
Précisons tout de suite pour les connaisseurs que nous ne nous pencherons ici que sur la créature nommée "licorne" et non pas sur toutes les variantes des créatures à corne unique. Le Qilin chinois aura par exemple lui aussi un article qui lui sera consacré (de plus, il n'a pratiquement aucun lien avec la créature d'aujourd'hui, mais beaucoup de sites les lient de façon capillotractée).
La licorne est un sujet épineux car, de par son ancienneté et sa popularité, elle fut surreprésentée dans l'art avec des interprétations très différentes. C'est pourquoi, ici, et par ailleurs en général, nous n'aborderons pas les aspects symboliques de la licorne, mais seulement ses origines probables.
-Le symbolisme, c'est la plaie, tout le monde y voit ce qu'il veut bien y voir et plus le sujet est ancien et populaire plus les interprétations se multiplient exponentiellement. Allez analyser ce que les gens voient dans un nuage : bon courage pour sortir une moyenne des milliers de formes que tout le monde a pu voir... Alors qu'à la base, il y a de très grandes chances qu'il ne s'agisse que d'un nuage qui n'a pas de forme particulière, il est ce qu'il est, c'est tout. Et comme nous allons le voir, c'est bien le cas de la première licorne.
La licorne a une forme relativement stable depuis le Moyen-Âge : il s'agit d'un cheval blanc possédant une corne unique sur le front. Si aujourd'hui son corps est généralement celui d'un cheval "normal", ses représentations pré-XIXème siècle la mélangent la plupart du temps avec une chèvre, lui octroyant un bouc, de longs poils recouvrants ses sabots (parfois fourchus) et une queue moins fournie que celle d'un cheval.
Comme elle est associée à la pureté et à la virginité, elles sont pratiquement toutes décrites comme femelles, les rares licornes mâles étant parfois décrites avec une robe noire.
Son caractère est généralement calme, voir craintif, car elle ne se montre qu'aux jeunes filles vierges. Toutefois, par association à la protection maternelle, elle est décrite comme très agressive et dangereuse si elle est acculée ou si elle décide de protéger une autre créature.
Comme bien d'autres créatures du bestiaire européen, la licorne nous vient des grecs.
La plus ancienne trace écrite vient d'un médecin, Ctésias, qui, entre -416 et -398, décrivait l'Inde dans le récit de son long séjour en Perse. Comme d'habitude, il ne s'agit pas d'un témoignage direct (Ctésias n'ayant jamais été en Inde) mais il décrit avec conviction l’existence d'un grand âne blanc à tête rouge et aux yeux bleus possédant une corne d'une coudée blanche, rouge et noire. Rapide et puissant au point de déraciner les arbres sur son chemin, boire dans sa corne permet de plus d'être immunisé aux poisons, à l'épilepsie et aux convulsions. Par la suite, Aristote inclura "l'âne d'Inde" en tant qu'exception des animaux à cornes ayant les sabots fendus dans son Histoire des Animaux.
Brisons tout de suite le mythe : la licorne est un rhinocéros indien.
Pendant son séjour de dix sept ans en Perse, Ctésias fut sûrement confronté couramment à plusieurs illustrations et récits traitant de l'imposant animal du pays voisin, car il se trouve que la description de son mode de vie correspond trait pour trait à celle d'un rhinocéros.
Cette race précise ne possède en effet qu'une seule corne de kératine (son nom scientifique est d'ailleurs Rhinoceros unicornis). Lent au début de sa course, il atteint rapidement de très grandes vitesses (jusqu'à 55km/h) qu'aucun obstacle n'arrête, un auteur postérieur précisera d'ailleurs que la licorne possède une peau épaisse que rien ne peut percer.
Et c'est là toute la confirmation de l'identité de la licorne, car il y a eu beaucoup de témoignages au cours de l'Histoire et la plupart se rejoignent facilement, contrairement à d'autres bêtes plus difficilement observables.
Au IIIème siècle avant notre ère, Mégasthène décrira à son tour dans son Indica des animaux nommés "kartazoon" ou "kartajan", calmes mais agressifs avec les siens hormis lors de la saison des amours. Mégasthène ayant, lui, bien vécu en Inde, son témoignage de première main rejoignant Ctésias est très important, notamment pour son nom comme nous allons le voir plus tard.
Un autre fait tout simple aide encore plus à relier le rhinocéros à la licorne : sa corne. Ctésias puis Mégasthène décrivent précisément quelles propriétés magiques les hindous lui attribuent.
Et il se trouve que la corne de rhinocéros était très souvent utilisée comme coupe à boire ayant exactement les mêmes propriétés.
À Rome, Pline l'Ancien écriera : « La bête la plus sauvage de l’Inde est le monoceros (en grec : mónos= seul et kéras=corne... et on y retrouve le son "K" qui est devenu un "C" avec le temps) ; il a le corps du cheval, la tête du cerf, les pieds de l’éléphant, la queue du sanglier ; un mugissement grave, une seule corne noire haute de deux coudées qui se dresse au milieu du front. On dit qu’on ne le prend pas vivant. »
Un autre romain nous apporte également un nouvel indice plutôt définitif. Claudius Aelianus (175-235), dans son traité De natura animalium, cite Ctésias en précisant que ce "monoceros" est là-bas appelé "cartazonos". Ce mot grec est adapté du perse "kargadan", il s'agit simplement du mot utilisé pour désigner... un rhinocéros.
Le seul problème réside dans les couleurs de l'âne d'Inde qui ne correspondent pas à un rhinocéros. Mais comme dit plus haut, Ctésias n'a jamais vu sa créature directement.
En revanche, il y a de très grandes chances pour qu'il ait vu des illustrations d'artistes exagérant les couleurs pour lui donner plus de vie. Les représentations de rhinocéros en sculptures et amulettes sont d'ailleurs encore aujourd'hui souvent peintes.
Une autre explication (sûrement complémentaire de la première) est que Ctesias, après avoir pris connaissance de ces créatures "équines", a probablement vu des onagres d'Inde (aussi appelés hémiones ou ânes sauvages d'Asie) qui peuvent avoir des couleurs plus prononcées sur la tête.
-Il faut dire que gris intégral sans nuances, ça n'est pas la couleur la plus passionnante qui soit pour évoquer des créatures impressionnantes.
La question est maintenant : pourquoi le décrire dans un premier temps comme un âne ?
Une première partie de réponse est "pourquoi pas ?". Après tout, en Grèce antique, tous les animaux n'ont pas été découverts, loin de là (aujourd'hui non plus d'ailleurs) et les points de comparaison sont limités par les connaissances de l'époque. Imaginez que vous deviez décrire une créature n'ayant pratiquement rien en commun avec ce que vous connaissez, comment feriez-vous ?
-Une question plus parlante est donnée par l'auteur de fantasy comique Terry Pratchett dans son premier livre des Annales du Disque-Monde (La Huitième Couleur ou en version originale The Colour of Magic) : "comment faire pour décrire une nouvelle couleur que votre interlocuteur n'a jamais vu ?". En l’occurrence, il décrit un témoignage de cette nouvelle couleur suprême comme "a sort of fluorescent greenish-yellow purple" ("un genre de jaune verdâtre violet et fluorescent")... maintenant bon courage pour l’imaginer.
Et si l'on approfondit, en 1860, le journaliste William Duckett écrivait "il est presque démontré que ce monstrueux animal n'est autre que le rhinocéros; car, ainsi que le remarque Cuvier, tout ce que les anciens ont dit sur les propriétés anti-vénéneuses de la corne de leur âne des Indes est copié textuellement sur des traditions hindoustanies encore existantes, et qui se rapportent à la corne du rhinocéros, tout ce qu'ils ont écrit sur sa férocité, sa force, sa grandeur informe, convient parfaitement au même animal, et la dénomination d'âne des Indes, donnée par les Grecs au rhinocéros, est exactement aussi bien motivée que le nom de bœuf de Lucanie, donné par les Romains à l'éléphant."
Car oui, les romains appelaient l’éléphant "boeuf de Lucanie" de même qu'un hippopotame était pour eux et pour les grecs un cheval aquatique (en grec : hippos=cheval et potamos=fleuve).
Arrêtons-nous ici pour les premiers siècles de la créature qui deviendra progressivement la licorne. Comme d'habitude, n'oubliez pas que nous ne faisons que parler des origines les plus importantes et les plus probables, mais que rien n'est si simple et qu'il existe en réalité des milliers d'influences ayant pu agir progressivement (et inconsciemment) tout au long de l'histoire de toute créature imaginaire.
Sur ce, j'espère que cette introduction vous aura plu et que les deux suites à venir continueront d'enrichir votre imaginaire.
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 02 Février 2018
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