Neverwinter: Valindra by CarmenSinek
La Liche - Les ajouts de la culture pop
Comme nous l'avons vu précédemment, le début du XXème siècle est donc en manque de magie, redécouvre de nombreux contes et la découverte de la tombe de Toutânkhamon relance l'engouement du public pour l'exotisme et les revenants. Dans ce contexte, une suite de récits populaires comprenant des sorciers immortels ou morts-vivants comme antagonistes principaux aboutiront à l'émergence officielle de la liche dans les premiers bestiaires de Donjons & Dragons en 1976.
Et depuis, la mort mise à part, elles se portent plutôt bien, merci pour elles.
Revenons donc rapidement sur les récits du XXème siècle ayant popularisé les sorciers immortels.
En 1928, Robert E. Howard créait Thusla Doom dans The Cat and the Skull pour s'opposer au héros atlante Kull avant d’apparaître à nouveau dans les aventures de son autre héros fétiche : Conan le Cimmérien. Les amateurs du film Conan le Barbare de 1982 avec Arnold Schwarzenegger auront toutefois du mal à le reconnaître sous les traits de l'acteur James Earl Jones car seul son nom sera repris pour le film, le personnage étant plutôt basé sur le prêtre fanatique Thoth-Amon.
Le Thusla Doom originel avait une tête squelettique, était apparemment invulnérable (voir immatériel) et renaissait simplement quand son enveloppe disparaissait.
Son succès immédiat, né de son charisme, fut tel qu'il devint une base pour de nombreux sorciers maléfiques créés par la suite.
Les deux versions de Thulsa Doom. A gauche la version du livre illustrée par l'emblématique Frank Frazetta, à droite la version du film.
-Le fait que l'ensemble de l'univers d'Howard ait énormément influencé l'imagerie de la fantasy a aussi beaucoup aidé à sa propagation. C'est d'ailleurs aussi pour ça qu'on doit le citer pratiquement partout lorsque l'on parle de fantasy.
Cette même année 1928 voyait la naissance de Chtulhu par H.P. Lovecraft qui influença à son tour les créatures intelligentes de la fantasy. Nous en reparlerons plus en détail mais, pour le moment, résumons simplement en disant que la créature quasi-divine issue du genre fantastique pousse lentement ses victimes dans la folie pour se nourrir de leur esprit.
Ces récits sont hautement impressionnants et font plonger le lecteur dans une puissante paranoïa où la réalité n'a plus cours. Un culte s'est vite monté autour de ces récits et de nombreux jeux de rôle basés sur cet univers verront le jour avec le temps puis déteindront sur d'autres mondes plus légers mais friands d'ambiances parfois plus inquiétantes.
La tentation sera désormais souvent forte pour auteurs et maîtres du jeu d'utiliser magies psychiques et hallucinations pour plonger les protagonistes dans un monde où ils n'ont plus aucun contrôle. Privés de leurs repères, ils vivent ainsi leurs peurs les plus viscérales par le pouvoir de l'imagination et de la suggestion.
Cthulhu by Disse86
Alfred Hitchcock l'a également prouvé, un récit est bien plus angoissant avec des non-dits qui poussent le spectateur à faire travailler son imagination.
Le processus est simple : confronté à l'inconnu ou à un manque de données, notre esprit se mettra en situation pour envisager toutes les possibilités afin de s'y préparer. Ce faisant, tout ce qui nous fait peur ou nous inquiète surgit involontairement dans notre esprit pendant que les endroits d'où peut provenir le danger se multiplient. Si l'auteur a réussi à nous amener à cet état de panique, il n'a même pas besoin de faire intervenir un antagoniste, vivre cet instant aux côtés du protagoniste nous aura déjà profondément marqué.
Pour avoir réussi à aussi bien comprendre et canaliser les peurs humaines, H.P. Lovecraft reste, avec Stephen King, dans le panthéon des auteurs ayant massivement influencé notre façon de raconter les récits angoissants.
Quelques années plus tard, en 1954, paraissait Le Seigneur des Anneaux avec son fameux univers regroupant contes et légendes du Nord de l'Europe. Beaucoup auront déjà fait le rapprochement, mais il est bon de préciser que Sauron, le général des armées du dieu du mal, est une liche.
En effet, celui que l'on surnomme parfois "le nécromancien" lie son âme à l'Anneau Unique pour accroître ses pouvoirs puis offre les Anneaux de Pouvoirs aux plus importants représentants des races intelligentes pour les lier à lui par ruse.
Ici, nous devons donc rappeler l'un des textes les plus célèbres de la fantasy :
"Trois Anneaux pour les rois elfes sous le ciel,
Sept pour les seigneurs nains dans leurs demeures de pierre,
Neuf pour les hommes mortels destinés au trépas,
Un pour le Seigneur des Ténèbres sur son sombre trône,
Au pays du Mordor où s'étendent les ombres
Un Anneau pour les gouverner tous
Un Anneau pour les trouver
Un Anneau pour les amener tous,
Et dans les ténèbres les lier
Au pays du Mordor où s'étendent les ombres."
Car les ombres citées ici sont évidemment la Mort elle-même. Avec les Anneaux de Pouvoir, leurs porteurs sont liés au plan de la mort. Les hommes "destinés au trépas" accèdent à l'immortalité en tant que Nazgûls. Serviteurs de l'Anneau, ils cherchent à le récupérer des millénaires après sa perte alors que leur enveloppe charnelle aurait dû disparaître depuis longtemps.
Leur vraie apparence squelettique n'est d'ailleurs révélée que lorsque Frodo les voit en portant l'Anneau Unique car ils se retrouvent alors sur le même plan d’existence. Leur "vie" dépend de leurs anneaux liés à l'Unique et si celui-ci est détruit, ils disparaissent à leur tour.
Sauron, malgré la disparition de son corps, ne peut être détruit sans la fin de son anneau, mais ne peut non plus renaître physiquement sans l'avoir en sa possession.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que ceux qui n'auront vu que les films des années 2000 n'auront peut-être pas fait le rapprochement avec les liches car Sauron y était dépeint comme un guerrier géant. Cette représentation avait surpris les lecteurs car les rares descriptions indirectes des livres le désignent plutôt comme un puissant sorcier. Il s'agit bien sûr des besoins du film qui devait faire un rapide résumé de la première guerre de l'Anneau et illustrer immédiatement sa toute-puissance. C'était également un choix du réalisateur, Peter Jackson, qui n'a jamais caché ne pas aimer les mages usant des pouvoirs d'évocation.
-C'est d'ailleurs pour cette raison que les autres magiciens du film comme Gandalf ou Saruman utilisent surtout une magie "pratique" ou indirecte et n'invoquent pas de boules de feu ou d'éclairs. C'est une vision intéressante mais qui serait plutôt rangée dans la catégorie des magies de sorcières basées sur les malédictions et les améliorations de capacités humaines via une magie spirituelle.
Récemment, les nouvelles adaptations se déroulant en parallèle dans le même univers que les films (la série de films du Hobbit, mais également les jeux vidéo comme La Guerre du Nord et L'Ombre du Mordor) préciseront un peu mieux le personnage de Sauron en le désignant comme un sorcier manipulateur avant l'obtention de l'Anneau Unique.
Particulièrement dans L'Ombre du Mordor où l'on revit la création des Anneaux de Pouvoirs, Sauron apparaît déguisé comme un grand demi-elfe majestueux. Une fois en possession de l'Unique, il n'a alors plus rien à craindre des mortels et peut révéler sa vraie nature maléfique et corruptrice.
Satire britannique de 1892 : Davy Jones lisant une charte navale du port de Ferrol rédigée en 1789. L'illustration était accompagnée d'un texte : AHA! SO LONG AS THEY STICK TO THEM OLD CHARTS, NO FEAR O' MY LOCKER BEIN' EMPTY!! ("Aha, aussi longtemps qu'ils respecteront leurs vieilles chartes, pas de risque que mon coffre désemplisse !").
Si ses origines sont incertaines et ont sûrement été créées progressivement en mélangeant plusieurs récits, il en ressort quelques-uns issus des contes de marins.
On parle notamment d'un propriétaire de pub, le "Jones's Ale", qui enfermait les clients trop soûls avec les cargaisons de bières destinées aux bateaux pour les envoyer au large.
D'autres parlent d'un nom issu du personnage biblique Jonas, avalé par un gros poisson qui n'aurait pas été recraché comme dit dans la Bible mais serait devenu un ange noir au fond des océans.
-Ma version préférée reste celle d'un marin particulièrement myope, Duffer Jones, qui passait régulièrement par-dessus bord.
Pour enfin finir ce tour du monde des liches, la plus évidente et la plus populaire de ces dernières années reste le seigneur Voldemort, antagoniste principal de la saga Harry Potter.
Plus encore que tous les autres exemples, celui-ci remplit tous les critères de ces créatures.
Sorcier devenant progressivement maléfique après une vie remplie d'un désir de reconnaissance obsessionnel, Voldemort divise son âme en plusieurs parties afin d'atteindre l'immortalité. Ce faisant, il corrompt à chaque fois un peu plus son âme et son corps dans le processus, mais en échange, il ne peut plus être tué qu'après la destruction de ses phylactères.
Et sur ce point, il est difficile d'en dire plus... c'est une liche, c'est tout. Mais rassurez-vous, nous reparlerons du personnage sur d'autres points plus intéressants culturellement comme son rapport aux serpents par exemple.
-D'accord mais et Jésus alors ? On n'en parle pas ?
En petit bonus, nous devons effectivement parler d'un petit phénomène humoristique (autrement appelé "meme") sur Internet qui constate que Jésus Christ remplit effectivement toutes les conditions pour appartenir à la catégorie des morts-vivants et, plus spécifiquement aux liches.
Puissant mage de son vivant, il renaît trois jours après sa mort pour passer dans l'ombre et diriger un culte axé sur sa personne. Accédant à l'immortalité et à des pouvoirs accrus, il dirigerait ses fidèles depuis deux millénaires, les plus extrêmes de ses suivants devant des créatures maléfiques et décérébrés sous ses ordres.
Comme conséquence de cette idée de base, on peut donc en déduire que les Chevaliers de la Table Ronde cherchaient en réalité le Saint Graal pour le détruire et protéger le monde de "Jésus la liche".
Et pourquoi détruire le Graal ? Vous l'avez deviné : c'est son phylactère qui recueillit son sang et donc son âme lors de sa crucifixion.
-D'accord... en fait c'était n'importe quoi, je n'aurai pas dû demander.
C'est là que nous rejoignons les origines des liches. En théorisant sur les mondes fantastiques et en combinant des données purement imaginaires, nous nous ouvrons à d'autres fonctionnements, d'autres visions de mondes différents.
C'est généralement la conséquence de lectures fantastiques et peu de lecteurs assidus de ces genres n'ont jamais eu de discussions enflammées sur la logique interne à tel ou tel univers.
En nous forçant à nous ouvrir à ces autres logiques, nous limitons les risques de nous enfermer dans un style de pensée unique pouvant mener à l'obsession.
En attendant un futur hors sujet sur la malédiction du pharaon, merci de votre patience pour la lecture de ce long article et j'espère que la découverte de cette créature méconnue vous aura intéressé !
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 1 Septembre 2017
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