Undead Overlord by 88grzes
La Liche - Les origines idéologiques
Les liches font partie des morts-vivants les plus redoutés des univers de jeux de rôles. Il s'agit d'anciens puissants mages ayant transféré leur âme dans un réceptacle appelé phylactère pour atteindre d'eux même l'état de mort-vivant. Ils obtiennent ainsi une forme de vie éternelle accompagnée d'un accroissement significatif de pouvoir, souvent obtenu par les siècles d'étude de la magie qui suivent leur "renaissance". La grande différence avec les autres morts-vivants est que la liche est l'une des seules avec les vampires à conserver sa volonté, ce qui les rend bien plus dangereuses qu'une armée de zombies décérébrés.
Thaw of the Lich Lord by Dmitry Burmak
Créatures apparues très récemment dans le bestiaire fantastique, les liches sont encore peu connues du grand public. Elles ont été créées par Gary Gygax en même temps que de la première édition du jeu de rôle Dungeons & Dragons en 1975. Décrites comme de grands sorciers souvent partiellement décomposés, elles font généralement partie des créatures les plus puissantes et dangereuses des univers de fantasy.
Donjons piégés, multiples couches de protections magiques, invocation d'armée de puissants serviteurs, tendance sadique à torturer psychologiquement ses adversaires, connaissance des sorts les plus puissants dont la capacité d'arrêter le temps, suppression de tout support magique adverse ne sont rien à côté de leur capacité à revenir à la vie en pleine possession de leurs pouvoirs peu de temps après la destruction de leur enveloppe charnelle.
Même si la plupart préfèrent vivre recluses, certaines parmi les plus puissantes réussissent à conquérir des pays entiers avec leurs armées de morts-vivants. Elles sont généralement l'ennemi final d'une longue quête épique mais elles restent ouvertes à la négociation pour pouvoir manipuler ou recruter les héros qui savent qu'ils n'ont aucune chance. Leur assurance de pouvoir tuer n'importe qui, n'importe quand, ne les pousse pas à attaquer aveuglément malgré une certaine propension à ôter la vie à la moindre contrariété. Cette retenue les rend d'autant plus imprévisibles et donc plus inquiétantes que d'autres monstres dont le comportement est plus violent mais prévisible.
Pourtant, si le nom officiel de ce monstre est récent, ses inspirations sont multiples et viennent de nombreuses sources.
Le mot "liche" vient de "lich", un mot archaïque anglais désignant un cadavre. Gary Gygax confia s'être inspiré de The Sword of the Sorcerer (1969), une nouvelle de Gardner Fox (1911-1986) où il utilisait régulièrement ce terme. Le livre aura plus tard droit à une adaptation cinématographique en 1982 qui est aujourd'hui devenu un classique de fantasy outre-Atlantique (connu en France sous le nom L'épée sauvage). Les romans de fantasy de cet auteur figuraient d'ailleurs parmi les préférés de Gary Gygax et son influence est palpable dans toute l'ambiance des premiers univers de Dungeons & Dragons.
Pour la petite histoire, il s'agit du même Gardner Fox issu de l'âge d'or (1938-1954) et d'argent (1956-1970) des comics et qui créera notamment le personnage de The Flash, Hawkman ainsi que les premiers univers parallèles et la Justice League of America dans l'univers de super-héros de DC Comics.
-Tu es parti loin, là ! Si on revenait à notre sujet ?
Loin d'être seulement un puissant antagoniste, la liche installe une ambiance de peur et de doute par sa simple présence. Et ce, bien avant de la combattre. Elle est là pour amener le lecteur/joueur à se questionner sur la justesse de ses choix. Qu'est-ce qui le pousse à combattre un adversaire aussi mortel ? Aura-t-il la force physique et morale d'assumer les conséquences de ses choix ? Et surtout, s'il avait eu la même histoire que son adversaire, aurait-il fini comme lui ?
C'est un monstre, oui, mais il n'est pas né ainsi et le lecteur doit comprendre qu'il aurait suffi de peu pour que les positions soient inversées.
Rappelons ici que la liche fut créée moins d'une génération après la Seconde Guerre mondiale dans un contexte encore choqué où l'on étudiait de plus en plus la responsabilité des soldats allemands (puis américains pendant la guerre du Vietnam) à travers les expériences en psychologie et sociologie.
Pour aller plus loin, voici une conférence de Jean-Luc Nativelle : Comment penser la "monstruosité" et l'"inhumain" ?
Grim reaper by Lee Kent
De plus, la liche attaque rarement en premier et essaye souvent de rallier les autres à sa cause ou son point de vue à travers un discours chargé de questions sur leurs différentes visions du monde. Si celui-ci est bien sûr extrême, il n'est souvent pas dénué d'un vrai questionnement de fond sur la validité de certains tabous liés à la mort.
Mais le point le plus important reliant ces créatures reste une peur présente chez les humains depuis toujours : la peur du manque de temps.
Si une liche gagne par nature un certain nombre de puissants pouvoirs (présence terrifiante poussant à la panique les esprits faibles, pouvoirs mentaux souvent imparables...), la puissance de ces créatures vient surtout indirectement de l'immortalité qu'elles acquièrent. Une fois affranchies des limites de leur existence, elles se plongent dans une éternité d'études et avec leurs nouvelles connaissances viennent de nouvelles capacités qui s'accumulent au fil du temps.
La raison de leur transformation est généralement une obstination poussée à l’extrême. Un but à atteindre, quelque chose à prouver, la liche est généralement consumée et isolée par cette idée fixe bien avant sa transformation qui n'est un moyen de gagner du temps pour atteindre son but final.
Ce point est important car il est le lien entre tous les morts-vivants "intelligents" des mythologies. Dans celles-ci, beaucoup d'aventuriers cherchent la vie éternelle mais il s'agit plus de la peur de l'inconnu de l'"après" qu'un but en soi. Les érudits qui la cherchent visent en général d'abord un autre but bien trop ambitieux et ne peuvent supporter l'idée de ne pas en voir l'achèvement.
Les raisons sont nombreuses et pas toujours mauvaises : la compréhension de l'univers, l'aboutissement d'expériences, la protection d'un patrimoine, la vengeance, la preuve de leur supériorité... Quel qu'il soit, ce but les consume et les pousse à rejeter les règles de la société et leur humanité pour gagner le temps qu'il leur manque.
Il est à noter qu'il existe un très petit nombre de liches possédant un alignement moral "bon" qui permettent également d'illustrer la nature destructrice des obsessions à leur façon. Transformées pour un but noble comme une protection éternelle (mais dans l'ombre) de leur peuple, ces créatures souffrent pour toujours de solitude et de leur place hors du temps. Elles n'ont pas voulu faire confiance aux nouvelles générations et se sont exclues d'elles-mêmes de leur société.
Among the dead by The Rafa Arts
Contrairement aux idées reçues, les récits de fantasy sont rarement manichéens pour peu que l'on s'intéresse aux motivations, aux buts ou aux racines des protagonistes. L'univers fictif permet de transposer les comportements humains dans un contexte différent pour rendre le récit plus attrayant et léger pour celui qui ne veut pas trop y réfléchir mais il est rare qu'aucune réflexion ne soit cachée dans ce genre d'œuvre.
Si la science-fiction s'attarde plus souvent sur une critique de la société, la fantasy se focalise plus souvent sur l'humain et ses motivations. Sur ce qui distingue un héros d'un monstre.
-La subtilité des personnages et du message du récit réside justement dans le fait de ne pas tout rendre évident. Vous aurez rarement la biographie de votre interlocuteur à disposition et pourtant, ça ne doit pas vous empêcher d'essayer de le comprendre. En faisant l'effort de reconstituer son parcours, ses expériences, vous vous mettez à sa place et vous pouvez mieux le comprendre qu'avec une rapide phrase descriptive survolant une vie complète.
A little dungeon scuffle by Hugh Pindur
Si l'on suppose que ces anciens humains ayant succombé au "mal" ne l'étaient pas forcément au moment de leur transformation, en se mettant à leur place, on peut comprendre que, d'un point de vue de quelqu'un qui a tout sacrifié pour un but, la fin finit par justifier les moyens. De plus, l'enfermement dans un point de vue unique pendant un certain temps finit par isoler jusqu'à un rejet des avis extérieurs tout en repoussant progressivement les limites du "socialement tolérable".
-"Je sais que j'ai raison et ils comprendront une fois que j'aurai réussi", "après tout, pourquoi m'occuper de l'avis des autres, ils ne comprennent pas", "après tout, je peux bien leur imposer une petite contribution, c'est pour leur bien", "après tout, pourquoi essayer de me faire comprendre ? Autant faire ce qui doit être fait sans leur demander, ça ira plus vite et s'ils s'y opposent, c'est qu'ils ne le méritent pas", etc... Ça me rappelle deux ou trois humains bien réels.
Des obsessions peuvent consumer des vies et amènent souvent aux extrémités, même avec la conviction de faire ce qui doit être fait. Loin d'approuver ces choix, la création de monstres comme les liches permet d'amener une réflexion pour comprendre ces biais et mieux les prévenir ou mieux se préparer à les combattre.
On se retrouve très vite pour la seconde partie sur les origines culturelles !
BONUS : Publiée au moment où cet article était lui-même mis en ligne, voici une vidéo de l'excellent Fossoyeur de Films sur les objectifs de la science-fiction qui rejoint mon propos écrit plus haut. Je vous laisse donc en très bonne compagnie pour finir cet article.
La science-fiction a-t-elle échoué ? - Le Fossoyeur de Films
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 21 Juillet 2017
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