Lich - Auteur inconnu.
La Liche - Contes, momies et phylactères
Dans la première partie, nous avons vu les origines idéologiques des liches. Mais qu'en est-il des origines historiques et mythologiques ?
L’humanité a toujours eu des mythes concernant la vie après la mort et, parmi ceux-ci, le retour dans le monde des vivants fait partie des contes les plus présents, quel que soit l'époque ou le lieu. Nous reviendrons donc un autre jour sur les premiers morts-vivants car il y a beaucoup trop à dire et trop d'approches culturelles à réaliser. Mais aujourd'hui, nous allons tout de même commencer une première immersion en nous concentrant sur les sorciers morts-vivants.
Et là, force est de constater que, si les revenants sont bien la catégorie la plus prolifique en terme de variantes de monstres, il n'existe pratiquement pas de sous-catégorie de sorciers avant le XXème siècle.
L'une des seules exceptions est toutefois assez importante pour que l'on puisse affirmer qu'elle a, au moins en partie, influencé la culture populaire.
Koschei l'immortel (également appelé Kochtcheï, Kachtcheï ou Kashchey) est un personnage récurent dans les contes slaves très présent en Russie et en Pologne (où il se nomme Kościej). Il s'agit d'un puissant sorcier apparaissant dans de nombreux contes lié à la libération d'une femme en tant qu'antagoniste du héro. Dans une version de "La Princesse-Grenouille", la princesse en question est Vassilissa, une fée, victime d'un maléfice qui la condamne à rester en grenouille. Après avoir rencontré le héros, Ivan, celui-ci jette sa peau de grenouille au feu, ce qui oblige la fée à retourner, prisonnière, chez Koschei jusqu'à ce que Ivan vienne la chercher après de nombreuses péripéties.
Durant son voyage, il rencontrera Baba Yaga, autre figure très importante du folklore slave (dont nous reparlerons), qui lui indique comment tuer Koschei l'immortel. Pour cela, il faut briser une aiguille logée dans un œuf, lui-même dans une cane, la cane dans un lièvre et le lièvre dans un coffre enterré sous les racines d'un chêne.
Koschei n'est jamais décrit physiquement mais seulement par ses actions typiques d'un sorcier maléfique (il vole au lieu de marcher, apparaît dans un tourbillon d'ombres et de fumée...) mais son nom vient de la racine slave "kost" ("os") qui suggère qu'il a l'apparence d'un squelette.
Ce conte fut traduit dans de nombreuses langues dont l'anglais sous le nom de The death of Koschei the Deathless dans The Red Fairy Book écrit par Andrew Lang en 1890 regroupant des contes germaniques, slaves et francs. Ce livre et ses autres compilations issues du monde entier inspireront beaucoup l'imaginaire outre atlantique jusqu'à la parution du dernier en 1913 après la mort de leur auteur. Au total, 798 histoires et 153 poèmes seront importés dans ses livres et contribueront à l'envolée du fantastique de l'époque.
Comme nous l'avons déjà vu, dans ce contexte d'entrée dans un monde régi par les connaissances apportées par la science, beaucoup se plongent dans les mondes imaginaires pour échapper à un monde devenu trop froid et mécanique pour eux avec à leur tête, Sir Arthur Conan Doyle qui essayera d'échapper à Sherlock Holmes en écrivant de nombreuses œuvres appartenant aux domaines du fantastique ou du merveilleux et se fera le porte parole de nombreux médiums et autres croyances.
L'affaire des fées de Cottingley en est le plus célèbre exemple : en 1917, deux cousines de 16 et 10 ans (Elsie et Frances Grifiths) montrent cinq photographies les présentant en compagnie de fées.
Conan Doyle les utilisera pour affirmer l’existence du petit peuple et sortira même le livre The Coming of the Fairies en 1920. De très nombreux débats passionnés ont eu lieu à l'époque sur la véracité des photos. Ces échanges ressemblaient peu ou prou aux "débats" menés par les complotistes d'aujourd'hui où toute preuve de truquage est rejetée en arguant que le gouvernement les manipule pour cacher la vérité. Après les nombreuses démonstrations de truquages, dans les années 80, les deux cousines finiront par avouer que les fées des photos étaient des cartons découpés dans des livres illustrés de l'époque.
Ce mouvement inspirera bien plus tard de nombreuses études de psychologie sur le besoin du cerveau humain de rêver et d'imaginer pour exciter sa soif d'inconnu trop vite étanchée par des connaissances de plus en plus étendues.
- Et ça n'est pas étonnant de voir que beaucoup de grands noms de la recherche scientifique sont également férus de littérature imaginaire comme l'astrophysicien Neil DeGrasse Tyson, grand consommateur de comics et de films de science-fiction.
Dans ce début de XXème siècle hésitant donc encore entre sciences et croyances populaire, un événement va raviver une grande passion pour les mythes exotiques : la découverte de la tombe de Toutânkhamon en 1922. Plus précisément, la folie médiatique qui s'en suivra autour de la prétendue "malédiction du Pharaon" achèvera de rendre cet événement mondialement célèbre.
Les histoires fantastiques de momies existaient déjà, en 1917 il y avait déjà eu huit films traitant de ce sujet, The Vengeance of Egypt étant d'ailleurs le premier long métrage entièrement consacré à l'horreur. Mais jusqu'ici, les momies étaient traitées comme de simples morts-vivants sans autre volonté que celle d'attaquer physiquement ceux qui avaient dérangé leur sommeil. Les malédictions étaient présentes mais ses pouvoirs restaient légers et rarement mortels en soi. L'impact médiatique concernant la malédiction de Toutânkhamon la rendra toutefois bien plus présente et menaçante dans les esprits et elle gagnera une aura plus importante. Désormais affublée de pouvoirs, la momie est plus difficile à tuer dans les récits pulp la mettant en scène et, dans une recherche de l'exotisme, on lui associera de nombreux mythes comme celui du phylactère contenant son âme.
- Et c'est maintenant qu'il faut définir cet objet commun pour les passionnés de fantasy mais presque totalement inconnu pour les nouveaux arrivants. Les amateurs d'histoire de l'art en ont aussi une définition différente.
Les amulettes protectrices ont plus ou moins toujours existé, mais on retrouve ce concept particulièrement bien représenté en Egypte Antique où un phylactère (terme anachronique) était un talisman contenant des formules magiques ou des représentations divines. Plusieurs couches de parchemins se superposaient généralement et étaient encadrées par des figurines en bois sur le collier qui portait le tout.
Le mot phylactère vient du grec "phylakterion" ("ce qui sert à garder") et est le synonyme d'un accessoire issu du judaïsme rabbinique : le téfiline. Celui-ci est constitué de deux cubes contenant quatre parasha (passages de la bible hébraïque) attachés au bras gauche et au front pour la prière du matin des hommes majeurs. À partir du moyen âge, dans les représentations artistiques, le phylactère désigne les banderoles attachées aux personnages représentés pour les faire s'exprimer. C'est ce sens qui sera conservé officiellement pour désigner de nos jours les "bulles" de la bande dessinée.
Phylactery by Kimsokol
Mais, comme dans pratiquement toutes les sociétés, les mots ont une certaine valeur mystique (et particulièrement dans les croyances du Moyen-Âge), lorsqu'une personne représentée disposait d'une devise, un phylactère pouvait ne contenir que celle-ci pour donner à son propriétaire une symbolique plus forte.
Toutes ces différentes notions de protections et de représentations symboliques se sont progressivement mêlées pour donner naissance au phylactère magique de la fantasy.
Amulette de protection, lorsqu'il est désigné par un nécromancien au moment de sa transformation en liche, il devient le réceptacle de l'âme ou du cœur du mage. Tant que le phylactère n'est pas détruit, plus rien ne pourra faire disparaître définitivement son corps physique.
Cette capacité magique remonte à l'Egypte antique dans l'un des plus anciens textes égyptiens écrit sous le XIIème siècle avant notre ère, sous la XIXème dynastie.
Le Conte des Deux Frères, narrait l'histoire d'un honnête homme qui deviendra immortel en plaçant son cœur au sommet d'un arbre. Il sera plus tard trahi par sa femme infidèle à qui il avait confié son secret par amour. Elle le tuera en faisant abattre l'arbre mais son grand frère le ramènera à la vie en retrouvant et plongeant son cœur dans l'eau, source de vie.
Par la suite, la notion d'extraction de l'âme pour atteindre une forme d'immortalité sera présente dans de nombreux contes tout autour du globe et à divers degrés. Par exemple, chez les Aztèques, Quetzalcoatl immole son corps après avoir rompu son vœu de chasteté mais son cœur lui survit pour devenir Tlahuizcalpantecuhtli, la planète Vénus.
Beaucoup citent le conte La Boule de Cristal des frères Grimm mais c'est en réalité une réécriture de La Princesse Grenouille organisé différemment.
Dans la même veine, on peut également parler de la légende celte que l'on retrouve en Irlande de Creachadôir Tarnochtaighthe. Ce géant dont le nom signifie "pillard tout nu" a un système de protection de son âme très proche de Kochei et du sorcier de La Boule de Cristal : seuls les animaux et objets emboîtés diffèrent.
- Et bon courage pour ressortir ces exemples à l'oral dans une discussion mondaine !
Mais heureusement que les phylactères modernes sont juste bien cachés magiquement. Dans tous ces contes il faut toute une ménagerie pour en contrer une autre rangée façon poupée russes...
Pour en revenir au cas de la momie, si les viscères sont bien conservés aux côtés du corps du défunt dans quatre vases canopes, ils doivent assurer le fonctionnement et la protection du corps dans sa nouvelle vie et non pas garantir la préservation de son âme dans un éventuel retour dans notre monde. Mais avec le temps, l'association des pratiques funéraires égyptiennes et des contes avec les phylactères européens s'est faite naturellement dans un phénomène d'appropriation culturelle classique.
La momie est cependant un cas un peu à part car elle est encore coincée entre deux visions. D'un côté, il est difficile de la séparer de son image issue des séries de films d'aventures des années 30-40 (les fameux serials dont les héritiers les plus évidents sont les Indiana Jones ou le film de 1999, La Momie) où elle apparaît comme un mort-vivant plus puissant et résistant que la norme mais tout de même décérébrée et pratiquement sans capacités magiques. Toutefois, la représenter de cette manière est aussi un moyen de rendre hommage à ces serials ayant marqué l'enfance de beaucoup d'auteurs friands de fantastique.
Mais d'un autre côté, un certain nombre d'auteurs ont la volonté de la moderniser pour justifier son aura imposante auprès du public ainsi que pour souligner l'importance de sa vie pharaonique. Dans une culture avec un bestiaire aussi massif que le nôtre, un monstre aux origines aussi importantes (socialement, historiquement et culturellement) ne peut plus se contenter de simplement courir après les protagonistes en grognant.
- Finalement, même les bestiaires essayant de la rendre plus intimidante gardent malgré tout des références aux serials en lui laissant par exemple une faiblesse au feu directement issue de ces combats contre les aventuriers lui faisant bravement face uniquement armés d'une torche.
Pour le moment, la momie reste donc grandement coincée dans notre vision du début du siècle et pour obtenir un antagoniste sorcier et mort-vivant, il faudra donc créer un nouveau genre de monstres regroupant les meilleures idées de ces différentes créatures historiques.
Dans le prochain et dernier épisode consacré aux liches, nous verrons donc les dernières étapes issues de la littérature du XXème siècle avant la création officielle de la liche ainsi que ses héritiers modernes.
D'ici là, continuez d'enrichir votre imaginaire !
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 11 Août 2017
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