Goblin Intriguer by Lothrean
Le Gobelin - Vulgaires ? Oui... Mais pas seulement.
Bienvenue sur la troisième et dernière partie consacrée aux gobelins.
Avant de parler d'eux, il est toutefois important de comprendre dans quel contexte ils naquirent à nouveau dans une époque contemporaine où notre vision du fantastique a radicalement changé en un temps très court.
Ici, il ne s'agira que d'un rapide aperçu et une série plus détaillée sur l'évolution de notre rapport aux récits fantastiques devrait arriver rapidement.
Mais pour la première fois sur ce blog, nous allons parler de J.R.R. Tolkien qui sera le point central du renouveau de la fantasy et du merveilleux.
Avant lui, un certain regain d'intérêt pour les univers s'extirpant de la réalité s'était amorcé dès la fin du XIXème siècle.
Rapidement, on peut citer l'arrivée du cinéma de Méliès et de ses histoires de science-fiction et fantastiques puis les nouvelles angoissantes de H.P. Lovecraft entre 1905 et 1935 et celles de Edgar Rice Burroughs (Tarzan et le Cycle de Mars).
Celui-ci élève au rang d'Art la science-fiction et l'aventure exotique tout en créant l'une des premières œuvres mêlant science-fiction et médiéval dans son univers dédié à John Carter.
Toutes ces œuvres couvrent la première moitié du XXème siècle et rouvrent les esprits aux récits fantastiques pour oublier les temps difficiles.
Il faudra vraiment faire une partie plus détaillée sur le contexte de cette période...
Tu n'as même pas parlé de Sir Arthur Conan Doyle qui terminait sa carrière dans les années 20 pendant qu'Agatha Christie commençait la sienne !
Et pourtant, dans le genre intéressé par le fantastique, c'est difficile de battre Conan Doyle...
C'est vrai, mais ses nouvelles fantastiques ne se sont que très peu vendues, hormis Le Monde Perdu qui se classe plus dans le registre de l'aventure et inspirera un genre totalement différent qui donnera plus tard naissance à Indiana Jones et Jurassic Park.
Mais on y reviendra effectivement en détail une prochaine fois.
Pour en revenir aux gobelins, c'est dans ce contexte que Tolkien publia en 1937 The Hobbit, or There and Back Again (Bilbo le Hobbit) dans lequel il retranscrit pour la première fois sa vision unifiée de l'ensemble des mythes et légendes du nord de l'Europe.
Dans cette œuvre, gobelins et orcs sont deux noms pour décrire les mêmes créatures. Récit féerique pour enfant oblige, ils sont relativement faibles, peureux, naïfs, ont parfois une portée comique et poussent même la chansonnette.
Mais après quelques années, l'idée d'une épopée à plus grande échelle va germer dans son esprit.
Voulant donner une portée plus épique à son récit, l'ambiance de conte de fées s'alourdit très vite et les travaux de Tolkien sur le rassemblement des mythes vont atteindre leur apogée pour créer un univers plus cohérent et complexe.
Les orcs et gobelins se séparent implicitement pour que les orcs (puis leurs bâtards, les Uruk-hai) posent une menace bien plus concrète et agressive tandis que les gobelins restent en retrait de l'histoire pour se faire oublier.
Grâce à ce stratagème, il évite d'avoir à justifier les différences avec Le Hobbit et c'est notamment grâce à cette distinction qu'en 1954, Le Seigneur des Anneaux nous offrira des affrontements dantesques.
Publié après la mort de Tolkien en 1977, le Silmarillon regroupe de nombreux éléments de l'Histoire de la Terre du Milieu et apporte notamment un élément très intéressant sur sa vision des gobelinoïdes dans le chapitre 3.
Dans les premiers âges où l'humain n'existe pas encore, les Valars (ou dieux) doivent quitter la Terre du Milieu et laissent derrière eux les étoiles qui illumineront leur création après leur départ.
L'une des principales raisons est que cette lumière les protégera de Morgoth, le dieu du mal (et supérieur de Sauron), ancien Valar déchu qui corrompt dans l'ombre toute créature passant à sa portée.
La lumière devient un symbole d'espoir mais leur indiquera également le déclin des premiers-nés quand leur lumière faiblira. Ces premiers-nés, autrement appelés elfes, naissent donc protégés par les étoiles.
Mais Morgoth, qui ne crée pas et ne fait que pervertir et corrompre ce qui vit déjà, devient jaloux de ces créatures de lumière et en capture de nombreuse dès les premiers temps de leur naissance.
Au plus profond des cachots, ils furent torturés et mutilés durant des siècles. Tordus et brisés mentalement, ils devinrent une race à part : les orcs.
Si Tolkien n'expliqua jamais d'où venaient les gobelins, on peut raisonnablement déduire que si les Uru Kai sont des versions plus maléfiques et imposantes des orcs, les gobelins en sont la version plus petite et faible. Cette version a aussi l'avantage d'expliquer a posteriori pourquoi les deux termes se confondent dans le Hobbit.
Il est intéressant de noter que l'on peut interpréter cette torture comme la déformation des fées germaniques par les francs pour donner naissance à nos gobelins comme nous l'avons vu précédemment.
The Last Stand (Fingolfin vs Morgoth) by Morkt
Pour finir notre tour d'histoire des gobelins, nous devons également forcément passer par le jeu de plateau Dungeons & Dragons.
Créé en 1974 aux Etats-Unis par Gary Gaygax et Dave Arneson, le célèbre jeu de société propose d'intégrer, le temps de soirées entre amis, la vie d'aventuriers parcourant des mondes imaginaires uniquement armés de dés, d'une feuille de personnage et de notre imagination.
La popularité de la fantasy était énorme à cette époque (notamment grâce au succès du Seigneur des Anneaux) et les joueurs étaient avides de stimuli pour leur imaginaire bouillonnant.
Les mondes fantastiques se sont développés, diversifiés, et les bestiaires regroupant les informations standardisées sur les monstres ont enfin permis d'avoir une bien meilleure vision globale et quasi-identique pour tous autour du globe.
La plupart du temps, je m'arrêterai donc à cette période car elle marque l'avènement de la fantasy moderne à travers les jeux de rôle. De plus, depuis ce point dans l'histoire, les représentations se multiplient sur cette base de façon vertigineuse et il est encore trop tôt pour analyser correctement les impacts de ses héritiers sur notre imaginaire collectif.
- Et puis tu n'as pas envie d'analyser l'intégralité des milliers de fictions qui sortent chaque année et qui ne passeront pour la plupart jamais à la postérité...
Quoi qu'il en soit, la plupart des scénarios pour nouveaux joueurs de Donjons et dragons commençaient par des combats contre des gobelins aux faibles statistiques. Les maîtres du jeu créant leurs propres scénarios ont rapidement gardé cette idée et les joueurs récurrents ont pris l'habitude de ces créatures, perdant leur appréhension face à eux.
Petit à petit, les gobelins ont perdu leur aura maléfique durement gagnée dans Le Hobbit et, ces dernières années, on se moque plus souvent d'eux que l'on ne les craint.
Conscient de la vision de leurs joueurs et voulant toujours s'adapter au fur et à mesure des années, les bestiaires des différents jeux de rôle mettent maintenant souvent en avant leur stupidité comique, leurs superstitions, voir une certaine forme d'humour noir dans toute leur culture.
Dans le jeu de rôle Pathfinder, on peut par exemple voir que tous les gobelins sont persuadés que l'écriture vole leur âme et leurs rares mages ayant besoin d'écrire doivent le faire en cachette ou remplacer le texte par des dessins sous peine d'être brûlé par leur propre tribu.
Ils ont également une capacité de concentration proche de zéro et ils peuvent s'arrêter net en plein raid pour écraser (ou manger) une limace ou aller manger un champignon vénéneux même si un guerrier s’apprête à le couper en deux.
Quand ils s'ennuient, ils ont tendance à se laisser aller au vandalisme et ainsi détruire progressivement leur propre village.
Jouant de cette absence de forme de société et de limites, certaines campagnes de jeux permettant même d'incarner un groupe de gobelins pour se défouler et les suivre dans leurs pillages et autres activités dénuées de toute forme de morale.
- C'est d'ailleurs pour ça qu'on a commencé par eux, non ? Pour des monstres aussi communs, les joueurs ont des sentiments bizarrement très axés autour d'une relation amour/moquerie.
On l'a vu, les gobelins ont beaucoup évolué au cours des siècles.
On peut supposer qu'à l'origine, ils sont de très lointains descendants des récits de Pline l'ancien qui, dans son Histoire Naturelle, décrit les troglodytes d’Égypte comme des hommes primitifs vénérant des dieux infernaux et plus proches du singe que de nous.
Il y a toujours eu des humains vivant dans les grottes partout dans le monde et il est rare qu'ils fussent vus autrement que comme des primitifs.
On peut ajouter que l'ambiance lourde et humide des grottes est souvent associée au surnaturel avec des lieux de culte ou des tombes creusées à même la roche pour profiter de cette aura particulière et impressionnante.
Il n'est donc pas étonnant que ces hommes y vivants reclus aient suscité méfiance et superstitions dans le contexte du Moyen Âge et qu'ils fussent rapidement devenus de mystérieux lutins germaniques vivant dans les trous.
Aujourd'hui, nous voyons les gobelins comme une sorte de parodie de nos instincts les plus bas. Ce que pourrait devenir un groupe d'humains devenant purement égoïstes et rejetant toute forme d'ordre et de respect mais agissant pourtant en groupe nombreux pour échapper au fardeau de la responsabilité de leurs décisions.
Les gobelins ont peur à la fois de l'inconnu et de la connaissance, préférant se cantonner à ce que leurs sens identifient facilement et sans besoin de se concentrer.
Tant que l'on peut s'amuser comme on l'entend et manger, le reste n'a pas d'importance.
Finalement, le gobelin reste tout au long de l'histoire un miroir qui nous renvoie ce que l'on a eu peur de devenir. Un primitif sans la société pour nous protéger, un hérétique soumis à l'influence du mal sans l'encadrement de l'Église et (pour l'instant) un égoïste stupide et violent sans la culture et le respect pour les autres...
La prochaine fois que vous en rencontrez lors d'une campagne, utilisez la capacité la plus développée par les jeux de rôle : l'empathie.
Mettez-vous à leur place et repensez à leur histoire qui les a amenés à être ce qu'ils sont aujourd'hui.
- Et une fois que c'est fait, vous pouvez les écraser comme bon vous semble.
Ce premier Bestiaire où l'on a survolé les gobelins est maintenant terminé, et j'espère sincèrement qu'il vous aura plu.
Je tiens encore à rappeler que je ne suis pas un historien mais simplement un passionné d'Histoire et de fantasy qui a fait de modestes recherches avec les moyens du bord pour arriver à ces articles.
Comme toujours, n'hésitez donc pas à aller re vérifier de par vous-même lorsque ce que vous lirez vous paraîtra étrange puis à m'envoyer vos réflexions.
Quoi qu'il en soit, merci de votre attention et continuez d'enrichir votre imaginaire.
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 28 Avril 2017
Informations
Historia Draconis
Tous droits réservés
Site créé par
Anthony Barone et Mai Tran
avec WebAcappella Responsive
Visiteurs depuis 2015