Le Gobelin - Troglodytes démoniaques

Bienvenue sur ce premier sujet où nous allons donc logiquement parler des premières créatures que rencontre tout aventurier qui se respecte.

Et non, on ne parle pas de la poule, mais bien des gobelins

Dangereux au premier abord, ils sont la risée des aventuriers expérimentés avec le temps. Pourtant, ils ont toujours une place de choix dans les bestiaires fantastiques et les jeux situés dans un univers de fantasy.

Si maintenant, ils sont devenus un élément comique de par leur folie, remontons aux origines de ces créatures dont la mention en a fait trembler plus d'un par le passé.

Avant tout, aujourd'hui, comment imagine-t-on les gobelins en règle générale ? 

- Écrasés ?

Les gobelins sont des créatures souvent laides, relativement petites (un mètre au maximum) et dotées de capacités physiques et intellectuelles limitées. Ils sont primitifs, très agressifs et leur absence de réflexion les rend téméraires.

Mais ils sont également souvent assez peureux et lâches dès qu'ils s’aperçoivent qu'ils n'ont pas le dessus ou lorsqu'ils se retrouvent face à un phénomène inconnu ou impressionnant. On peut également ajouter qu'ils sont crédules et facilement manipulables.

Finalement, ce qui les rend dangereux, c'est surtout leur nombre. Ils se reproduisent vite et sont considérés comme adultes dès cinq ans. Et comme ils se déplacent toujours en groupe, ils peuvent vite devenir un problème pour qui n'a pas suffisamment l'expérience des combats.

En très résumé, voilà ce que peut évoquer un gobelin dans notre imaginaire collectif actuel composé des différents livres, jeux et films les représentants. 

Mais il n'en a pas toujours été ainsi car cette représentation, comme beaucoup, BEAUCOUP d'autres que nous traiterons, a été extrêmement influencée par l'œuvre de J.R.R. Tolkien que l'on ne présente plus puis affinée par le cultissime jeu de rôle sur papier Donjons et Dragons.

En effet, toutes les légendes, mythes, religions et contes se doivent d'évoluer pour coller avec la vision du monde de leur époque et/ou leur culture. Ainsi, il est souvent intéressant de comparer notre version actuelle d'un conte avec celle d'il y a cinq ou dix siècles pour mieux comprendre l'évolution des mentalités.

Un classique mais très bon exemple moderne est la réinterprétation d'un même personnage de comics tel que Spider-Man créé pendant la guerre froide, dans la peur du nucléaire.

Si dans le comics ses pouvoirs viennent d'une araignée radioactive, les films de Sam Ramy puis de Marc Webb créés presque cinquante ans plus tard parleront plutôt de manipulations génétiques aussi inquiétantes pour le grand public de nos jours que ne l'était le nucléaire en 1962.

- Si on pouvait revenir à nos gobelins... En plus ton "étudiant scientifique", il parle d'insecte pour une araignée...

Oui, oui, ça va Bob, je digresse, mais il faudra t'y faire, il se passe plein de choses dans ma tête !

-Mais je ne m'appelle pas Bob ! Je suis un noble paladin moi !

Le mot "gobelin" apparaît donc pour la première fois peu avant 1141 sous la forme latine médiéval "Gobelinus" dans l'œuvre d'Ordericus Vitalis (1075 - v. 1142).

Ce moine anglo-normand est considéré comme l'un des plus importants historiens du moyen-âge central notamment grâce à sa grande honnêteté et un certain sens du récit dans la retranscription des faits dans son œuvre la plus importante : Historia Ecclesiastica.

Dans cette œuvre qui traite de l'histoire du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre entre le XIème et XIIème siècle, il est fait mention de Saint Taurin (à l'origine Saint Taurinus) qui affronta au Vème siècle un démon qui terrorisait Evreux en Normandie. 

Celui-ci pouvait prendre trois formes : un lion, un ours ou un taureau et il hantait le temple local de Diane, déesse romaine de la chasse, de la lune et de la nature.

Saint Taurin, bravant les gardiens du temple avec un signe de croix qui les repoussa, put interpeller la statue de Diane qui abritait le démon. Il en sortit alors un petit être noir et barbu.

Faisant preuve de la tolérance légendaire d'une religion pour une autre, Saint Taurin fit ce qui caractérisa une grande partie de sa vie : il ordonna à Gobelinus de détruire tous les symboles païens du temple avant de le consacrer à la vierge Marie (qui n'était officiellement nommée "vierge" que depuis 553 lors du deuxième concile de Constantinople.)

Le démon ayant brisé ses propres idoles se retrouva ainsi piégé et ne put repartir dans les abysses. Il se retrouva condamné à rester pour l'éternité dans cet endroit où il avait un jour régné pour observer les gens qu'il avait tourmenté se faire sauver.

Certains seront par la suite témoins de ses apparitions sous ses diverses formes mais il n'attaqua plus personne.

Si le texte d'origine fut écrit par Deotatus au IXème siècle, c'est bien Ordericus Vitalis qui nomma le démon Gobelinus pour la première fois en reprenant son texte bien des années plus tard.

Dans les inspirations probables du nom, on peut noter les "kobalos" grecs, compagnons nains de Dionysos de nature féerique, voleurs et farceurs. Ils pouvaient également changer de forme et iront même jusqu'à voler le héros Héraclès pendant son sommeil (il leur pardonnera car il les trouvait amusants).

Ce nom, dérivé en latin par "cabalus" ou "gobalus", désignera dans la langue courante les mauvais esprits domestiques. En revanche, rien à voir avec la "cabale" des sorcières qui vient de l'Hébreu "cabala" qui veut dire "traditions"...

- C'est vrai que tu pars dans tous les sens...

La linguistique n'étant pas très développée à l'époque d'Ordericus, il est très probable qu'il ait interprété le mot latin "gobalus" comme issu de la fusion avec la racine germanique "Kov-" qui désigne une cavité dans la terre (le "V" se prononce "B" dans énormément de langues).

Dans le dialecte normand, "Gobe" désignait les cavernes dans les falaises calcaires de la Seine et un gobier était un de ses habitants. Par extension et préjugés moqueurs, ce mot désignera finalement un simple d'esprit.

Ce n'est donc par un hasard si les gobelins vivent généralement sous terre et sont si primaires. Ils sont d'ailleurs souvent associés à leurs cousins allemands, les kobolds, dont on peut voir que la racine est la même.

Et pour cause : ils ont évolué en parallèle dans deux pays frontaliers partageant des origines communes, mais influencés par les folklores locaux.

Si, aujourd'hui, ils ont dû être différenciés pour varier le bestiaire des amateurs de fantasy, à l'origine, seule la localisation permettait de distinguer les deux types de créatures.

L'écriture finale en "gobelin" sera attestée en 1192 dans un poème du trouvère (poète et compositeur en langue d'oil, parlée dans le nord de la France) Ambroise de Normandie : L'Estoire de la Guerre Sainte.

Ce récit est consacré à la participation à la troisième croisade de Richard Cœur de Lion et il y parle d'un certain Balians d'Ibelin qui serait plus fourbe qu'un gobelin (traduction à prendre avec des pincettes car apportée par mes soins, je n'ai pas trouvé la traduction officielle...)

Alors, nous avons déterminé les premiers pas du mot gobelin dans notre langue. Très bien. Mais est-ce que ça correspond avec leur apparition dans notre imaginaire ?

Et bien non, évidemment !

- C’eut été trop beau.

Et c'est pourquoi je vous propose de vous donner rendez-vous dans le prochain article d'Historia Draconis. Le temps pour vous de laisser un peu de repos à vos globes oculaires avant d'attaquer l'évolution de notre conception des gobelins à travers leurs siècles d’existence.

En espérant que ce premier article vous aura plu, continuez d'enrichir votre imaginaire !