Goblin Druid by Julien Carrasco
Le Gobelin - C’est des trucs qu’on se passe entre bardes, ça...
Dans le précédent épisode sur les gobelins, nous avons vu l'apparition de leur nom en France au XIIème siècle. Hélas, les choses se compliquent maintenant, car cette date ne correspond pas à leur première apparition dans notre imaginaire.
En effet, les gobelins sont malheureusement catégorisés dans la famille des créatures féeriques.
Mosquitoes hunter by David Revoy
Et bien le problème avec les fées, c'est essentiellement leur taille et leur talent pour rester invisibles à nos yeux. Variant de quelques centimètres à un mètre de hauteur, elles sont discrètes et elles seront le plus souvent cachées lorsqu'elles interagissent avec les grandes créatures que nous sommes. Ce qui fait que les personnes ayant cru voir une de leurs manifestations auront très souvent tendance à tout mélanger (noms, capacités, intentions) au cours de l'histoire.
On parlait souvent d'un "tour [venant] des fées" lorsqu'on évoquait un événement que l'on ne comprenait pas (comme ne pas trouver un outil ou glisser dans la rivière). Cette expression désignait en général l'ensemble du bestiaire féerique et pas spécifiquement les créatures que nous imaginons aujourd'hui lorsque l'on parle de fées. La créature désignée comme coupable l'était selon l’interprétation du tour de celui qui en subissait les conséquences. Pour reprendre l'exemple d'une chute dans la rivière, l'un pouvait parler d'une fée détournant son attention par un sort tandis qu'un autre pouvait parler d'un gobelin le poussant discrètement. Il est intéressant de noter que l'ensemble des tours attribués aux fées dans la langue de tous les jours sont pratiquement toujours restés dans la catégorie des tours relativement inoffensifs et facilement attribuables à des défauts d'attention ou de maladresse.
À l'origine, la plupart des fées sont issues de la mythologie nordique qui se répandra sur l’Europe lors des invasions dites "barbares" à partir du IVème siècle.
Les Allemands préfèrent le terme "migration des peuples" et ils ont déjà un peu plus raison (mais pas totalement) car il s'agissait plus d'un mouvement migratoire non-uniforme de différents peuples.
Pour la plupart plus migrants et voyageurs que simples envahisseurs, ils se sont progressivement répartis sur l'Europe du Nord pendant plusieurs siècles tout en s’acclimatant avec les populations locales.
Évidemment, il y a tout de même eu de nombreux heurts, et l'acclimatation ne s'est pas faite de la même façon selon les régions en fonction du niveau de culture déjà en place et de la densité de la population locale. Certaines régions se sont plus slavisées et d'autres ont au contraire intégré les nouveaux venus en les acculturant progressivement. Au final, il y a eu un rapide mélange des cultures qui eut été plus difficile dans le cas d'une réelle invasion brutale où il est impératif pour les locaux de "résister" à une menace de l'ennemi bien plus concrète.
Conséquence obligatoire : les mythes des nouveaux arrivants se sont mélangés avec les croyances locales en donnant de nouveaux noms ou de nouvelles caractéristiques aux créatures que l'on pensait voir dans chaque phénomène étonnant autour de nous.
Pour ne rien faciliter, chez les Anglo-saxons, le terme "fairies" regroupe toutes les petites créatures anthropomorphes de leur folklore.
On peut d'ailleurs voir ce genre d'erreurs se produire encore aujourd'hui avec des mots anglais "généraux" correspondants à des mots spécifiques en français, induisant forcément confusions et mélanges (par exemple, en anglais, on appelle "penguin" la famille des manchots ce qui induit forcément les traducteurs peu attentifs à parler de "pingouin" en français alors qu'ils n'ont finalement pas grand-chose en commun et n'appartiennent absolument pas à la même famille d'oiseaux).
Au final, fées, elfes, lutins, gremlins, gobelins et autres petites créatures cachées sont en fait des descendantes du même folklore germanique qui s'est diversifié avec le temps et la répartition géographique au cours des siècles. Ici, les gobelins sont sûrement des descendants directs des lutins.
Comme beaucoup de noms différents coexistaient, tout le monde s'y perdait et ces créatures ont presque toutes une définition très floue dans leurs premiers siècles d’existence.
À l'inverse de créatures issues de la mythologie, bien ancrées et définies dans les histoires et donc dans l’imaginaire (comme les dragons ou les phénix), les fées ont plus évolué dans les superstitions du "petit peuple". Celui-ci n'avait pas grand intérêt à garder une trace écrite de leur rencontre, rendant ainsi plus difficile une transmission claire de leurs descriptions supposées.
Ainsi, par un effet de téléphone arabe à grande échelle au cours des siècles, on verra les gobelins alterner entre créatures maléfiques, farceuses voire bénéfiques pour les enfants...
Leur description physique variera entre le nain noir et barbu et le gnome imberbe et mal formé. S'ils ont souvent recours à la magie, c'est également l'un des seuls représentants du folklore féerique qui peut parfois disposer d'un certain niveau technologique (bien que généralement primaire). Finalement, l'un des seuls points à peu près consistant sur ces créatures, c'est le fait qu'elles soient liées à la terre et aux tunnels.
Mais pas dans 100% des cas non plus...
Les choses ne vont pas s'arranger par la suite lorsque l'anglais s’appropriera le mot "goblin" en associant ces créatures à son propre folklore féerique au XIVeme siècle.
Les gobelins rejoignent donc à nouveau un folklore issu d'une culture germanique et ils sont dès lors associés à la famille des Hobs (qui, en gallois, désigne à la base un foyer pour le feu généralement au centre de la maison).
La famille des hobs regroupe principalement les brownies, les goblins, les bogles et sont des petits esprits de maison ou de champs aux tendances farceuses voire néfastes.
On remarque au passage que, parmi les hobs, les brownies sont de petits êtres travailleurs, adorant la nourriture, aux cheveux bouclés et encapuchonnés et vivant dans des trous... Mais nous en reparlerons.
- D'accord, il y a un air de famille, mais... tu es vraiment content de toi sur cette image ?
Pour bien illustrer leur nature changeante et leur appartenance aux fées, une légende nous est parvenue d'Angleterre à travers la tradition orale (puis publiée dans le livre Folktales of England en 1965) qui porte sur la vallée nommée "Goblin's Comb" dans le Somerset.
"Une petite fille qui cueillait des primeroses se promenait seule dans la forêt environnante. Jeune et inexpérimentée, elle finit par se perdre et arriva donc dans la vallée des gobelins. Quand elle réalisa sa situation, elle fondit en larmes. Alors que celles-ci coulaient de ses petites joues roses, elle se jeta sur un rocher pour cacher sa détresse. Le rocher s'ouvrit soudain et en sortit des créatures féeriques qui la réconfortèrent et lui offrirent une balle en or avant de la raccompagner par le chemin le plus court jusque chez elle.
Voyant la petite revenir avec des primeroses et de l'or, le sorcier du village comprit ce qui s'était passé et se jura de ramener bien plus qu'une balle en or. Après avoir bien cherché, il fut assez chanceux pour retrouver le bon rocher.
Seulement ce n'était pas le bon jour, pas le bon nombre de primeroses et surtout, ce n'était pas une petite âme simple.
Alors les gobelins le prirent."
Si cette histoire n'a été transmise à l'auteur du livre qu'en 1945 par deux dames âgées, elle illustre bien une des principales visions qu'en ont eu les hommes du nord de l'Europe durant de nombreux siècles.
Depuis l’Angleterre, et à l'instar de l'évolution, à force de micro changements aléatoires, les goblins vont donner naissance à de nouvelles créatures que Dungeons & Dragons regroupera assez intelligemment dans la catégorie dite des "goblinoides".
Parmi eux, on peut notamment citer le Bugbear (qui donnera naissance au Boogeyman, notre croque mitaine) dont le nom vient du moyen Anglais "bugge" qui désigne quelque chose de terrifiant, ainsi que de l'écossais "bogill" qui était un hob au même titre que les gobelins.
Sa description apparaît dans une traduction anglaise d'une pièce italienne de 1565 où il est décrit comme un ours mal formé hantant les bois pour effrayer les enfants.
Comme autre descendant notable, nous avons le hobgoblin.
À l'origine, il s'agissait simplement de la désignation d'un gobelin précédé par le préfixe "hob" pour ajouter une certaine précision du type de créatures dont on parle à son interlocuteur.
Sauf que, encore une fois, pour peu que celui-ci ne soit pas très instruit sur le folklore local, il le retranscrira tel quel lorsqu'il en parlera à son tour. On verra donc dès 1530 l'apparition de ce mot aux côtés de "goblin".
Il faudra attendre Tolkien pour voir apparaître une hiérarchie et voir en ces hobgobelins une version légèrement plus imposante du gobelin, mais néanmoins bien moins puissante que le bugbear, bien plus massif à cause de son lien avec les ours.
Les orcs et les trolls sont également associés aux gobelins, mais nous y reviendrons plus précisément dans d'autres articles.
- C'est vrai, ça serait dommage de trop en dire après ce texte si léger à lire, hein ?
D'autant que le prochain et dernier article consacré aux gobelins, nous entrerons dans l'ère contemporaine avec Tolkien.
D'ici là, merci de votre attention et continuez d'enrichir votre imaginaire !
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 02 Avril 2017
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