Cockatrice by Arvalis
Le Basilisk - Mangoustes et Cockatrices
Dans le premier article, nous nous sommes concentrés sur ce que les capacités des serpents ont pu apporter aux premières descriptions du basilisk qui nous sont parvenues.
Développons maintenant rapidement la suite de l'histoire chaotique de la créature qui donnera naissance à la cockatrice plus ou moins par accident.
Avant de reprendre l'histoire du basilisk, il restait un dernier point à élucider dans la description de Pline l'Ancien lorsqu'il nous parlait de son ennemi naturel dans ce passage :
"Ce monstre redoutable [...] ne résiste pas à des belettes; ainsi le veut la nature : rien n'est sans contrepoids. On les fait entrer dans des cavernes, que l'on reconnaît facilement parce que le sol est brûlé alentour; elles tuent le basilic par l'odeur qu'elles exhalent, et meurent en même temps. Tel est le résultat du combat de la nature avec elle-même."
Cette "belette" est en réalité un ou différents membres de la famille des mangoustes (Herpestidae) bien connues pour leur capacité à affronter les serpents les plus dangereux.
Certaines sous-espèces africaines ou asiatiques ont en effet une mutation de la forme des récepteurs d'acétylcholine qui empêchent les neurotoxines des venins de venir s'y attacher, leur permettant d'y résister ou même d'être totalement immunisées. Les seules autres espèces ayant cette capacité sont les hérissons, les cochons et les ratels (ou blaireaux à miel).
Cette particularité, combinée à leur extrême agilité et à leur épais pelage, permet donc aux mangoustes d'être un adversaire de choix pour tous les serpents, y compris les cobras les plus dangereux. Cependant, ils s'évitent mutuellement dans la majorité des cas, car l'issue du combat n'est jamais garantie et aucun n'apprécie particulièrement de consommer l'autre.
Cette opposition a toutefois toujours fasciné les hommes et l'on retrouve de nombreuses légendes inspirées de ces duels très impressionnants quand ils n'étaient pas directement organisés pour se distraire.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un nouvel élément illustrant que le basilisk n'est qu'un dérivé d'observations de serpents communs.
-Bon... on ne va pas se mentir, il suffisait d'une image pour illustrer à quoi ressemble une mangouste... Mais comment choisir ??? Elles sont tellement mignonnes !!!
On dira que c'est pour compenser avec les serpents de l'article précédent.
La suite de l'histoire du basilisk se complique considérablement avec la Vulgate de la Bible dont nous avions déjà parlé avec la licorne, autre animal grec devenu mythique avec la même traduction approximative... on parie qu'il y en aura d'autres ?
Dans Le livre de Jérémie (écrit VIème siècle avant notre ère, Jérémie ayant donné le mot jérémiade en lien avec le Livre des Lamentations mais son vrai nom était Yirməyāhū), celui-ci est un prophète solitaire engagé contre l'idolâtrie ayant tendance à prophétiser la mort à ses opposants.
Dans une menace qu'il lance aux juifs vénérant des idoles, il leur promet qu'il leur sera envoyé des "serpents basilic". Dans le texte d'origine, le mot hébreu R. tsépha évoquait un serpent très venimeux que les traducteurs modernes rapprochent plus de la vipère. Mais les traducteurs de la Vulgate lui ont préféré la créature décrite par Pline l'ancien qui était donc un serpent venimeux à l'extrême.
Le problème de cette traduction arrive au VIème siècle quand Isidore de Séville (dont nous avions déjà parlé des travaux étymologiques et de ses libres interprétations avec le pard) le reprendra dans ses vingt Etymologiae. La popularité de ce bestiaire aidera le basilisk à entrer dans l'imaginaire médiéval aux dépens de son apparence.
En effet, avec le temps, deux créatures distinctes vont se créer et se recroiser car, au VIIIème siècle, le britannique Bède le Vénérable (surnommé "Père de l'histoire anglaise" pour son Histoire ecclésiastique du peuple anglais de 731) sera le premier à expliquer la naissance du monstre en affirmant qu'il serait sorti d'un œuf pondu par un "vieux jeune coq".
-Et comme d'habitude pour les images symboliques religieuses, je n'essaye même pas d'imaginer ce que c'est censé vouloir représenter...
RIEN NE VA DANS CETTE PHRASE ! Un coq ne pond pas, un jeune coq ne peut pas être vieux par définition et il n'y a simplement aucun rapport avec les serpents à part le fait d'être ovipare.
Après d'autres variantes (l’œuf doit être couvé par un serpent ou un crapaud avec parfois Sirius en phase ascendante...), cette association avec le coq va progressivement le modifier dans l'imaginaire collectif en lui donnant parfois une apparence de coq possédant une queue reptilienne et parfois huit pattes (sauf dans le sud-ouest de la France où c'est "une loutre avec une tête d'homme couronnée d'or").
Avec ces modifications, en 1397, quand John Trevisa traduisit le De proprietatibus rerum de Bartholomy l'Anglais en cornique (langue celte de Cornouailles, au Royaume-Uni) il choisit de renommer la bête que l'on imagine maintenant en coq reptilien : cockatrice.
Accrochez-vous car il choisit cette traduction en se basant sur le vieux français cocatris, dérivé du latin calcatrix ("celle qui écrase avec ses pieds", désignant généralement celles qui foulent le raisin), lui-même traduit du grec ichneumon (pisteur) en se basant sur un animal chassant les crocodiles décrits par Pline l'ancien.
Cet ichneumon devenu dans le bestiaire médiéval une créature à part (ennemi naturel des dragons) était aussi appelé le "rat de Pharaon" par les égyptiens qui vénéraient sa capacité à tuer les reptiles, y compris, effectivement, les jeunes crocodiles.
Oui, vous l'avez deviné (si vous avez réussi à suivre), l'ichneumon ayant donné la cockatrice est une mangouste, son seul ennemi naturel... (mais par erreur d'interprétation, beaucoup ont aussi cru qu'il désigne sa proie : le crocodile du Nil)
-Donc pour tous ceux qui se battent contre l'uniformisation des légendes, je dirai qu'au moins, ça nous éviterait des complications dans ce genre...
Bref, de là, la cockatrice (ou cocatrix ou toutes les variantes de coq-, cock-, coc- et -trice, -trix, -tris, voir un basiliscok dans Les Contes de Canterbury) devient un synonyme du basilisk possédant la même capacité de pétrifier ou tuer d'un simple regard et parfois de cracher un souffle empoisonné.
Heureusement pour ma santé mentale, les deux créatures se distinguent petit à petit avec le temps (non sans croisements) grâce aux bestiaires des alchimistes. Le basilisk perdant ses ailes et revenant à une imagerie plus proche d'un lézard ou d'un serpent.
Aujourd'hui, la cockatrice est généralement un coq reptilien évoquant une créature dégénérée et agressive qui pétrifie par une morsure et possède un souffle empoisonné.
De son côté, le basilisk varie encore entre le serpent monstrueux et le lézard à huit pattes. Il est toujours appelé "roi des serpents" depuis la description de Lucain dans son livre Pharsale lorsqu'il parlait de tous les serpents libyens que les romains importaient pour leurs "morts raffinées".
Relativement paresseux et lent, il pétrifie d'un simple regard les créatures qu'il dévore ensuite grâce à son venin permettant de dissoudre la roche.
Dans la culture populaire, après quelques apparitions sur des armoiries plus ou moins importantes, le basilisk fut cité dans des œuvres classiques comme Richard III et Cymbeline de Shakespeare ou Zadig de Voltaire.
Mais ce qui l'a rendu véritablement connu de nous jours, c'est (comme d'habitude), sa présence dans le jeu Dungeons & Dragons. Dès la parution du tout premier bestiaire en 1974, il frappait de stupéfaction les personnages en les pétrifiant définitivement dès leur première rencontre s'ils chargeaient sans prendre de précautions. Difficile de marquer plus efficacement un joueur.
Il est donc naturellement apparu par la suite dans de nombreux jeux vidéo comme la saga Final Fantasy, Tales of Phantasia ou les adaptations de Dungeons & Dragons comme Baldur's Gate. Mais malgré tout, il restait majoritairement réservé à un public d'initiés à la culture fantastique ou médiévale.
Sa plus grande incursion dans la culture populaire grand public se fera donc via le second livre puis film de la saga Harry Potter où il marquera les esprits grâce à une narration de qualité mettant efficacement en scène la peur qu'il peut inspirer.
Pourtant, paradoxalement, depuis quelques années, la cockatrice regagne en popularité à travers le nombre de ses représentations, probablement grâce à son apparence permettant de plus grandes libertés artistiques qu'un monstre dérivé de serpent.
Elle a notamment remplacé le rôle du monstre paralysant habituellement occupée par le basilisk dans le jeu Dragon's Dogma et même repris son nom dans sa (très) brève apparition dans le manga One Piece.
Nous verrons bien avec le temps s'ils finiront par se dissocier totalement l'un de l'autre, mais en attendant, cette petite rétrospective se termine et on se retrouve bientôt pour un sujet normalement moins complexe et contradictoire... normalement.
Ecrit par Anthony Barone dans Bestiaire le 12 Juillet 2019
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