Walt Disney's Aladdin - Ron Clements, John Musker, 1992
Les Mille et Une Nuits - Aladdin est chinois
Il y a depuis quelque temps un certain nombre de polémiques concernant la future adaptation en film live d'Aladdin par Disney. La principale étant le choix de Naomi Scott, une actrice anglaise d'origine indienne pour le rôle de la princesse Jasmine. Beaucoup regrettent ce choix qui écarte la possibilité de mettre en avant une actrice d'origine arabe.
Les raisons invoquées par le studio se comprennent (difficultés à trouver des acteurs dans cette jeune tranche d'âge sachant bien jouer, danser et chanter) et leur bonne foi semble sincère, car les Studios Disney ont presque toujours employé des doubleurs originaires des pays présentés dans leurs films d'animation. De plus, du point de vue hollywoodien, mettre en avant une actrice principale indienne est aussi rare qu'une actrice d'origine arabe, ils prennent donc en vérité un risque supplémentaire en faisant ce choix qui peut contrarier (de façon assez compréhensible) la population arabe.
Mais une autre question se pose dans ces conditions : doit-on absolument reprendre fidèlement le film d'animation de 1992 ?
Les Mille et Une Nuits est l'un des ambassadeurs les plus populaires de la culture musulmane dans le monde. Pourtant, beaucoup ont tendance à oublier que l'Islam n'est pas lié uniquement au monde arabe et qu'un grand nombre de régions d'Asie et d'Afrique ont également été converties depuis des siècles. Ce n'est donc finalement si surprenant que l'un de ses plus grands représentants, présente des personnages chinois ou indiens dans ses aventures.
À l'origine, les Mille et Une Nuits est un ensemble anonyme de contes et poèmes perses et indiens transposés à l'écrit en arabe vers le Xème siècle. On a toutefois également retrouvé un fragment d'ouvrage datant du IXème siècle.
Retranscrire l'histoire de ce livre est complexe, car il fut largement diffusé au Moyen-Orient durant des siècles et beaucoup de versions différentes existent avec de nombreuses variantes et ajouts au fil du temps.
De plus, il fut longtemps considéré comme une œuvre populaire et non pas comme faisant partie des "belles lettres". Ses versions dérivées étaient donc largement facilitées à cause de son manque d'encadrement officiel par les érudits.
-Aujourd'hui, ça serait comme si nous essayions d'écrire une version officielle d'une histoire populaire comme celle du père Noël : il existerait une version qui emprunte un maximum d'idées s’imbriquant logiquement, mais il coexisterait forcément d'autres versions impossibles à intégrer qui continueraient à survivre en parallèle. Au final, la version définitive des Mille et Une Nuits regroupe 1205 histoires depuis la version de Boulaq de 1835.
La trame regroupant tous les récits a elle-même été adaptée pour donner des versions plus ou moins tout public. Vous la connaissez sûrement, mais pour résumer, un puissant sultan trompé par sa femme décide d’exécuter chaque matin la femme qu'il a épousé la veille afin de ne plus être trahi. La fille du grand vizir, Shéhérazade, propose d'épouser elle-même le sultan, mais avant de dormir, elle va lui conter le début d'une histoire dont il ne connaîtra la suite que le lendemain s'il ne l’exécute pas.
La plupart des récits et poèmes gravitent autour d'une trentaine de grandes histoires dans lesquelles ils sont intégrés, ce qui permet à Shéhérazade de gagner du temps pour acquérir la confiance de son mari jusqu'à ce qu'il lui fasse assez confiance et renonce à l’exécuter.
Revenons à Aladdin. Il ne s'agit pas de l'un des récits d'origine mais d'un ajout tardif effectué par un français très important dans l'histoire des Mille et Une Nuits : Antoine Galland.
Publiée entre 1704 et 1717, la première traduction française est en réalité une libre adaptation du français. Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres disposant d'une très grande culture générale, Antoine Galland était à la fois l'antiquaire du roi et un professeur de langue arabe au Collège de France.
Grand amoureux des cultures orientales, il voulait les populariser en France et savait qu'une simple traduction de récits dont il ne disposait que d'éditions incomplètes ne suffirait pas. Il décida donc de remanier entièrement ces livres. Il condensa un maximum d'histoires d'origines géographiques différentes et ajouta également ses propres créations inspirées par des contes perses pour atteindre les mille et une nuits : Aladdin et la Lampe Merveilleuse, Les Aventures de Sinbad le Marin et Ali Baba et les Quarante Voleurs.
Mais son principal changement pour populariser l'œuvre fut la réécriture des textes. Galland était un excellent traducteur des différentes langues d'origine et pourtant, son texte est radicalement différent. Il avait compris que le style très "sec" et descriptif d'origine ne convenait pas à sa propre culture. Les Mille et Une Nuits était avant tout un récit populaire et pour toucher plus qu'un nombre limité de lettrés que le style n'aurait pas dérangé, il dynamisa la narration, enleva des détails qu'il jugeait inutiles et adoucit certains propos et passages violents.
Dans sa préface de l'édition de 1806 où il publia la traduction littérale aux côtés de celle d'Antoine Galland, monsieur Caussin de Perceval écrit :
"M. Galland savoit très-bien l’arabe ; mais il ne croyoit pas pour cela que tout ce qui étoit traduit littéralement de l’arabe pût plaire à des lecteurs français. Il vouloit faire un ouvrage agréable dans sa langue maternelle, et il a réussi ; mais pour y parvenir, il falloit se conformer au goût de la nation. M. Galland a donc été obligé, non-seulement de retrancher, d’adoucir, d’expliquer, mais même d’ajouter ; car les auteurs orientaux, qui tombent souvent dans des répétitions, ou qui appesantissent sur des détails inutiles, laissent quelquefois à deviner bien des choses ; et leur narration vive comme leur imagination, est souvent trop rapide, et même obscure pour nous."
Cette adaptation fut salvatrice pour Les Mille et Une Nuits car le pari fut réussi et le livre fut très rapidement un succès populaire. Comme dit plus haut, ces récits n'entrent pas dans les critères de la littérature arabe (auteur distinct et identifié, style d'écriture noble et maintenu tout du long bien éloigné des différents dialectes présents à l'origine) et aujourd’hui, beaucoup s'accordent sur le fait que sans cette adaptation, ce récit aurait fini par tomber dans l'oubli et disparaître.
Concentrons-nous maintenant plus sur l'histoire originelle d'Aladdin en particulier.
-Les curieux peuvent aller lire le texte de la réédition de 1806 ici et les plus curieux peuvent voir l'aspect de l'édition de 1705 ici.
Dans son récit, Antoine Galland précise dès le début qu'Aladdin vit dans une capitale de la Chine et est un fardeau pour sa mère veuve à cause de son oisiveté. Un mage africain se faisant passer pour son oncle lui demandera d’accéder à une cave scellée accessible uniquement à sa lignée et lui confiera un anneau de protection pour qu'il puisse lui ramener une lampe. Comme Aladdin refusait de lui donner rapidement, le mage s’énerva et referma la cave sur le jeune homme qui découvrira que l'anneau et la lampe contenaient chacun un génie hideux qui exaucent toutes les volontés de leur propriétaire. Après être sorti et s'être enrichi grâce aux génies, il voudra épouser la princesse Badroulboudour, mais comme celle-ci était déjà fiancée, il ordonnera au génie de l'enlever et de l'enfermer tous les soirs pour l'empêcher de consommer son mariage. Écoeuré, son époux finira par annuler le mariage et le sultan permettra donc à Aladdin d'épouser sa fille. Mais bien plus tard, le mage africain trompera Badroulboudour durant une absence d'Aladdin en se faisant passer pour un marchand qui remplace les vieilles lampes par des neuves. Ignorant les pouvoirs de la lampe de son mari, elle lui donnera de bon gré, permettant ainsi au mage d'invoquer le génie pour enlever le palais d'Aladdin ainsi que sa femme.
Faisant appel au génie de la bague, Aladdin retrouvera son palais et demandera à Badroulboudour d'empoisonner le mage lors de son dîner avec elle afin que tout rentre dans l'ordre.
Les habitués du film d'animation Disney auront bien du mal à reconnaître le voleur espiègle et la courageuse princesse Jasmine, car hormis le nom et le concept de la lampe abritant un génie, les deux œuvres n'ont que très peu en commun. Aladdin est ici manipulateur, cupide et n'hésite pas à effrayer la princesse lorsqu'il l'enlève chaque nuit durant ses premières noces jusqu'à ce qu'il arrive à ses fins. Bradoulboudour n'a pas grand intérêt dans le récit, elle n'a d'autre fonction que d'être belle et de vendre la lampe merveilleuse par ignorance au mage africain avant de l'empoisonner sur ordre d'Aladdin. Les deux génies aux vœux illimités enlèvent également toute notion d'obstacle à franchir. Sans élévation personnelle et sans la moindre difficulté à surmonter, on se demande au final quelle morale se dégage du récit.
Mais il n'est pas question de dire que celui-ci est mauvais. Il s'agit simplement d'une histoire qui joue sur ses arguments exotiques en s'inspirant des contes contenant des djinns. Ceci dit, même en replaçant le récit dans son contexte historique, force est de constater que les personnages ne brillent pas par leur personnalité.
-L'exotisme est d'ailleurs la seule raison que je trouve pour expliquer pourquoi le récit se déroule en Chine.
En effet, si une communauté musulmane minoritaire est bien présente en Chine depuis 651 et que certaines personnes portent des noms arabes (notamment les pèlerins qui voyagent jusqu'à la Mecque et gagnent le préfixe honorifique "Hajji"), leur culture n'est que très peu présente excepté dans la province de Xinjiang dès le Xème siècle. Mais dans la France du XVIIIème siècle, parler de la Chine ajoutait une notion encore plus exotique que le Moyen-Orient et évoquait un pays mystique où la magie était commune dans l'imaginaire collectif.
Les échanges entre la France et la Chine ont été très sporadiques tout au long de l'Histoire et notre compréhension populaire de l'Orient était encore tellement maigre il y a moins d'un siècle qu'Hergé s'en moquera ouvertement dans l'album de Tintin Le Lotus Bleu en 1934 lorsqu'il décrira les clichés de l'époque au jeune Tchang.
-Beaucoup de clichés et d'a-priori ont reculé aujourd'hui, mais il est tout de même triste de constater qu'il en reste encore un grand nombre et que l'argument d'exotisme reste très puissant si l'on évoque les pays d'Asie pour vendre un produit ésotérique sans fondement scientifique comme l’acupuncture ou les pierres de protections.
Mais si la Chine n'avait pas vraiment d’intérêt pour Aladdin, l'un des autres récits emblématiques des Mille et Une Nuits a un lien bien plus intéressant et direct que nous verrons dans la seconde et dernière partie consacrée à ces contes.
-Et il devrait arriver vite vu qu'il vaut mieux lire les deux articles en rapproché pour ne pas être trop perdu sur la conclusion...
En attendant, je compte sur vous pour continuer à enrichir votre imaginaire et à très vite !
Ecrit par Anthony Barone dans Contes et Légendes le 19 Octobre 2017
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